La mesure a couté 8,4 millions d’euros à l’Etat. | JEAN-FRANÇOIS MONIER / AFP

En septembre 2015, face à la crise des éleveurs, le gouvernement avait proclamé, dans le cadre du plan de soutien à l’élevage français, une « année blanche bancaire ». L’idée ? Permettre aux agriculteurs de reporter d’un an le remboursement de leurs prêts bancaires afin de faire face aux difficultés de trésorerie. La mesure, arrivée à échéance vendredi 31 mars, a été prolongée jusqu’au 31 décembre. Le temps pour ce dispositif de trouver son public. Car, « en nombre, on ne peut pas dire que la mesure a énormément été sollicitée », reconnaît-on au ministère de l’agriculture.

Ainsi, entre janvier 2016 et mars 2017, seuls 2 480 agriculteurs en ont bénéficié, soit environ 0,5 % des exploitants professionnels. Comment expliquer un tel bilan ? D’abord, il a fallu du temps pour que le dispositif se mette en place. « Comme un peu toutes les mesures annoncées depuis deux ou trois ans, un ensemble de tracasseries et de lourdeurs administratives, ainsi que des critères et des normes complexes ont retardé la mise en place de la mesure. On a perdu au moins six mois au démarrage », déplore Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA.

Au départ, le dispositif ne prévoyait pas que l’agriculteur puisse choisir parmi ses prêts celui ou ceux pour lequel il souhaite obtenir un gel d’un an. Après discussions, à la fin de novembre 2015, le gouvernement a finalement décidé d’adapter le système en permettant aux exploitants de choisir les crédits concernés par l’année blanche.

Un élargissement du dispositif en 2016

Malgré tout, certains agriculteurs ayant présenté un dossier n’ont pas été considérés comme pouvant prétendre au dispositif. Car seuls peuvent bénéficier de la mesure ceux qui n’ont pas souscrit de prêts réglementés – c’est notamment le cas des crédits à taux zéro pour les jeunes agriculteurs –, et ceux dont la baisse de l’excédent brut d’exploitation (EBE) est d’au moins 20 %.

Au moment du lancement, seuls les éleveurs étaient également concernés par le dispositif. Puis, en juillet 2016, le ministère a choisi de l’élargir aux céréaliers et aux maraîchers. C’est à ce moment-là que Jean Lefèvre, un céréalier de 35 ans installé dans l’Oise, en a profité pour présenter un dossier. Mais « je ne rentrais pas dans les cases », regrette-t-il. Grâce à « un geste commercial » de sa banque, il a finalement obtenu, en 2017, une pause d’un an dans le remboursement de ses prêts bancaires.

Selon le vice-président de la FNSEA, il a également fallu plusieurs mois pour que les banques et l’Etat s’accordent sur le financement de la mesure. Ils ont finalement décidé que le coût des taux d’intérêt serait divisé en trois, entre l’Etat, les banques et l’agriculteur. Selon le ministère, le financement de la mesure s’élève aujourd’hui à 8,4 millions d’euros pour l’Etat.

« C’est bien de reporter d’un an, mais on n’a aucune garantie »

Autre explication, « certains agriculteurs n’avaient pas d’intérêt à ne pas payer leur annuité, notamment parce qu’il leur restait de faibles sommes à rembourser et qu’il n’était donc pas rentable de payer des taux d’intérêts supplémentaires », explique-t-on au ministère. C’est le cas de Nicolas Jugelet, éleveur de 275 vaches limousines et céréalier à Saint-Symphorien, dans l’Eure. Depuis 2014, son chiffre d’affaires a baissé de 25 %, le plongeant ainsi dans une crise sans précédent.

Bien que M. Jugelet ait, à 49 ans, encore 50 000 euros de crédits à rembourser, il n’a pas souhaité bénéficier de l’année blanche. « D’une part, j’arrive au bout du tunnel et j’entrevois la lumière, puisque mes emprunts sont finis dans deux ans. D’autre part, même si c’est tendu au niveau de la trésorerie, je pouvais, en me serrant la ceinture, supporter les remboursements », explique-t-il. Vue la crise de l’élevage, il ne voulait, aussi, surtout pas s’imposer une année supplémentaire de taux d’intérêt à rembourser. « C’est bien de reporter d’un an, mais on n’a aucune garantie que ça aille mieux en 2017. La conjoncture est difficile. »

Même constat du vice-président de la FNSEA : « C’est bien de permettre à certains de souffler pendant quelques mois, mais il faut surtout que les prix se redressent. Pour l’instant, on a du mal à voir un rebond chez les éleveurs. » Et de conclure : « Si, déjà, l’Etat était à jour dans le paiement des subventions de la PAC, les agriculteurs n’auraient pas besoin de cette année blanche. »