Petite chemise col Mao, vieilles baskets blanches et mains cachées au fond des poches… Au Salon du livre de Paris, vendredi 24 mars, Mohamed Mbougar Sarr aurait pu passer inaperçu s’il n’était pas, à seulement 26 ans, considéré comme l’écrivain sénégalais le plus prometteur de sa génération. Repéré grâce à sa nouvelle, La Cale, qui a reçu le prix Stéphane-Hessel en 2014, il a été adoubé, l’année suivante, par le prix Ahmadou-Kourouma et le Grand Prix du roman métis pour son premier Terre ceinte (éd. Présence africaine).

Originaire de la ville de Diourbel, à une centaine de kilomètres à l’est de Dakar, l’aîné des sept garçons d’un médecin et d’une mère au foyer est conscient d’être un « privilégié ». C’est dans un français parfait, jamais trop soutenu mais où chaque mot est soupesé, qu’il s’adresse à ses interlocuteurs. Attentif à ses lecteurs plus qu’à la presse, il fera patienter l’intervieweuse d’un Facebook Live pour finir tranquillement une dédicace. Bref, le portrait craché d’un jeune écrivain qui, pour paraphraser le Général de Gaulle, a « une certaine idée de la littérature ».

Entre Kidal et Alep

« Dialoguer avec les morts est plaisant, ils ont écrit de si belles choses. » Et c’est ce que semble faire Mohamed Mbougar Sarr lorsqu’il peine à fixer ses interlocuteurs et lève les yeux au ciel pour trouver les mots justes. Malick Fall, Ousmane Sembène, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Léon Tolstoï : « Je ne m’enorgueillis que de ce que j’ai lu. » Poussé par ses parents d’abord, puis par ses professeurs du Prytanée militaire de Saint-Louis – le meilleur établissement d’enseignement secondaire du Sénégal –, il explore les méandres et les exigences de l’écriture réaliste, qu’il va faire sienne.

Ce qui ne l’empêche pas d’agiter son imagination et de planter le décor de Terre ceinte dans une ville introuvable sur les cartes. Son nom, Kalep, sonne familièrement à l’oreille. Une sorte de contraction entre Kidal, dans le nord du Mali, en proie à la rébellion touareg en 2012 – au moment où il commence à écrire –, et Alep, en Syrie, où s’est engagée une bataille interminable entre l’armée du régime et les rebelles. « C’est un roman imaginaire mais qui s’ancre dans l’actualité. » Car la vie qu’on mène à Kalep, elle, est bien réelle. L’Armée des ombres, écrite en 1943 par Joseph Kessel, en pleine seconde guerre mondiale, l’a inspiré pour décrire au mieux le joug des djihadistes, la vie dans la peur et la survie dans la résistance.

« C’est compliqué de prendre en charge une Histoire en cours, de prendre à bras-le-corps une situation qui me préoccupait et préoccupait le reste du monde. » Mais il sait que son rôle est là : amener le lecteur à une réflexion plus profonde qu’à la lecture des journaux, une réflexion sur l’universalité et sur ce qui, dans les situations les plus inhumaines, nous rend le plus profondément et paradoxalement humain.

Deux romans dans les cartons

Mohamed Mbougar Sarr n’est pas naïf : « L’écriture est une arme fort dérisoire face à la réalité des attentats. » Pour lui, la littérature n’a plus le pouvoir d’influencer le monde. Aujourd’hui, la parole de l’écrivain n’a de valeur que littéraire. Malgré tout, il s’échine à écrire, se pliant à ce qu’il considère le paradoxe des écrivains : « La littérature ne peut pas changer le monde, mais défier la réalité en fait toute la beauté. » Et puis un roman est comme une dette : il a tant reçu des grands écrivains qu’il est de son devoir de transmettre à son tour. Alors il aide, déjà, de son mieux les tout jeunes et range dans son sac, à côté de l’imposant premier volume des Œuvres complètes d’Albert Camus, le premier petit roman d’une Sénégalaise à qui il a promis un retour.

Lui-même veut « bâtir une œuvre » avec une exigence sans cesse renouvelée pour que sa prose « soit digne d’être appelée “littérature” ». Deux romans sont d’ores et déjà dans les cartons. « On dit toujours que le deuxième est moins bon que le premier, donc j’en ai écrit un deuxième puis, très vite, un troisième. » Le numéro deux, donc, qui sortira courant 2017, porte sur un village sicilien où la vie est rythmée par l’arrivée de migrants. Comme à Lampedusa ? Non, « ce roman est l’anti-Lampedusa tout en parlant de la même chose : l’accueil de migrants naufragés ». L’île italienne de 20 km2 est devenue un symbole médiatique, lui veut raconter l’envers du décor, « ce qu’il advient après le spectaculaire ».

Et, navigant de sujet délicat en sujet polémique, il a placé les homosexuels au Sénégal au cœur de son troisième ouvrage. Parfois déterrés dans les cimetières, souvent interdits par les mœurs et toujours punis par la loi. « Comme romancier, je n’ai qu’une seule arme : la langue ».