Merhawi, 28 ans, Erythréen, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides pour sa demande d'asile. Fontenay-sous-Bois, France, 28 mars 2017. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

Il avait fallu trois ans à Merhawi, en Israël, pour que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) lui accorde sa protection. Trois longues années d’attente pour ce jeune Erythréen, sans statut dans Tel-Aviv. Il lui aura fallu deux mois, jour pour jour après son arrivée, pour obtenir le statut de réfugié en France. Mardi 28 mars, à l’issue d’un rendez-vous à l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, ce jeune veuf père de deux enfants a été officiellement informé que la France lui accorde sa protection pour dix ans.

Récit d’une journée très particulière.

Peur d’être en retard, peur de ne pas bien raconter

Ce mardi, Merhawi a rendez-vous à l’Ofpra. C’est cette agence du ministère de l’intérieur qui va traduire sa protection internationale en droit français. Installée derrière sa façade de verre à Fontenay-sous-Bois, une commune de la banlieue est de Paris, elle joue la modeste ; et pourtant, en 2016, près de 90 000 demandeurs d’asile y sont passés pour y plaider leur cause.

Si la France en décidait tout à coup autrement…

Merhawi sait que son audition est une formalité, puisque la France a signé une convention avec le HCR pour les cas comme le sien, c’est-à-dire celui de jeunes Erythréens réinstallés en France et qui arrivent déjà avec l’asile en poche. Mais quand même, sait-on jamais, semble dire son regard. Si la France en décidait tout à coup autrement…

En grignotant son déjeuner sur le pouce, à deux pas de l’Ofpra, Merhawi s’inquiète un peu. Il contrôle l’heure, a peur d’être en retard, peur de ne pas bien raconter son histoire, d’avoir oublié des dates. « Je ne sais pas les dates exactes de naissance de mes frères et sœurs nés après mon départ », s’inquiète-t-il. Il a peur aussi d’avoir oublié des choses sur l’Erythrée, toute sa vie africaine est si loin, maintenant. C’était avant le début de sa migration, il y a une décennie déjà.

« Ça veut dire quoi Ofpra ? », demande le jeune érythréen, en marchant vers son lieu de rendez-vous. Une fois qu’il entend dérouler le sigle en Français, ça va mieux, il relâche un peu la pression. Après qu’il s’est entendu préciser ce qu’est un « apatride » et comment l’office lui établit des papiers, Merhawi se sent encore un peu plus en confiance.

Merhawi, à l’Ofpra de Fontenay-sous-Bois. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

14 heures, entrée dans le bureau 54

Dans le matin froid, il a pris le métro à Villeurbanne – où il est installé depuis fin janvier –, puis le train à Lyon, direction Paris, pour rencontrer cet officier de protection qui va écouter son histoire, lui poser des questions, lui expliquer comment la France va gérer son dossier. Auparavant, il a emmené ses petits chez un Erythréen de Lyon, pour qu’il les garde la journée.

Dans le TGV entre Lyon et Paris, en route pour l’Ofpra. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

C’est la première visite à Paris pour Merhawi. Même si ce n’est pas à proprement parler une « visite ». A l’aise dans la ville, il regarde un plan, essaie de comprendre où il se trouve dans cette capitale française qui ne signifie pas encore grand-chose pour lui. Il n’est même pas dans les clichés habituels, au point que lorsqu’on évoque la tour Eiffel, il demande s’il s’agit bien du « grand truc en fer ».

Bureau 54, à 14 heures, un agent de l’Ofpra et un traducteur l’attendent. Le soleil illumine le petit box très nu, très neutre. Une table, des chaises, un ordinateur. C’est tout. A côté, une autre série de bureaux, à peine différents, sont occupés par d’autres agents de protection.

Ces longues minutes où il faut revivre le départ d’Erythrée

Dans ces huis clos où tant et tant de malheurs se racontent, on aperçoit les visages fermés des requérants focalisés sur leur récit, assez concentrés pour ne rien voir autour. On aperçoit aussi le dos des fonctionnaires, les doigts qui courent sur les claviers et rentrent les éléments dans l’ordinateur, enchaînant les questions, recoupant les faits, habitués, à force, à faire face à tous ces destins déchirés.

Un traducteur prend des notes pour retranscrire les réponses de Merhawi. Fontenay-sous-Bois, France, 28 mars 2017. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

Guidé par les questions de l’officier de protection, Merhawi raconte longuement son histoire. Il lui faut revivre le départ d’Erythrée. Ce jour de mars 2008 où la police débarque dans son école pour chercher des jeunes gens et les emmener au camp militaire. Merhawi s’enfuit en courant pour se cacher dans le jardin où il travaille à mi-temps :

« Ils ont tué mon chien, Diamon, mais ne m’ont pas attrapé. Après j’ai filé vers l’Ethiopie à pied, ne me suis plus arrêté avant d’atteindre le camp de réfugiés de Shimelba. »

Le voyage – que Merhawi nous racontera plus tard en détail – n’intéresse pas au premier chef l’Ofpra, alors il enchaîne assez rapidement sur le Soudan, l’Egypte, le Sinaï, puis Israël, où il arrive le 7 juillet 2008.

En revanche, Merhawi est invité à détailler sa participation au mouvement d’opposition pour lequel il a milité. Parfois, les dates se mélangent un peu dans sa tête. Dix ans bientôt qu’il cherche un lieu où vivre en paix !

L’adieu à la dernière trace de son enfance africaine

Après avoir déposé sa convocation à l’accueil de l’Ofpra, le jeune Erythréen était monté dans le box 54 avec sa liasse de papiers originaux, soigneusement rangés au fond de son sac à dos. Il sait qu’il va repartir sans.

Merhawi, durant son entretien avec un officier de sécurité de l’Ofpra. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

Alors, après son récit, après quelques questions de cette femme inconnue qui sait l’écouter avec tact et l’interroger avec professionnalisme, il lui tend une à une toutes les traces de sa vie antérieure : le laissez-passer qu’il a eu pour quitter Israël, le certificat de naissance de ses deux enfants, son magnifique certificat de mariage calligraphié en hébreu et l’acte de décès de son épouse. Tout cela sera consigné dans les immenses sous-sols de l’Ofpra. C’est là que dormira la mémoire de sa vie d’avant, comme le lui explique l’agent de l’Ofpra, en fin d’entretien :

« Pour votre Etat civil et celui de vos enfants, nous serons désormais votre seul interlocuteur. Si vous avez besoin d’un acte de naissance, c’est nous qui vous l’établirons. 
Mais avant, nous allons commencer par vous faire parvenir un courrier indiquant que la France vous accorde sa protection pour dix années. Vous vous rendrez à la préfecture de votre domicile muni de ce papier, et elle fera le nécessaire pour vous établir un titre de séjour. »

Merhawi a quand même un pincement au cœur en se séparant de tous ses papiers jaunis. « Je peux reprendre les photocopies ? », demande-t-il, hésitant, « et aussi mes cartes d’opposant politique ».

Dans une pochette plastique, il range soigneusement ces petits restes de sa vie d’avant. En revanche, il ne reverra plus jamais la photocopie de sa carte de lycéen. Le seul document qu’il avait sur lui lorsqu’il a quitté l’Erythrée en 2008. C’était la dernière trace de son enfance africaine.

Merhawi reprend le métro à la gare de Lyon, sur le chemin du retour, après son rendez-vous à l'Ofpra pour sa demande d'asile. | Bruno Amsellem/Signatures pour Le Monde

500 jours, 25 migrants, 4 journaux, 1 projet

Pendant un an et demi, quatre grands médias européens, dont Le Monde, vont raconter chacun l’accueil d’une famille de migrants. Le projet s’appelle « The new arrivals ». A Derby, au nord de Londres, c’est la vie d’un agriculteur afghan et de son fils que décrira le Guardian. A Jerez de la Frontera, en Andalousie, El Pais suivra une équipe de foot composée de migrants africains. A Lüneburg, près de Hambourg, Der Spiegel va chroniquer le quotidien d’une famille de huit Syriens.

Comment vont se tisser les liens de voisinage ? Les enfants réussiront-ils à l’école ? Les parents trouveront-ils du travail ? Les compétences de ces migrants seront-elles mises à profit ? L’Europe les changera-t-elle ou changeront-ils l’Europe ?

Ce projet, financé par le European Journalism Centre, lui-même soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, permettra de répondre à ces questions – et à bien d’autres.