Le président américain Donald Trump, jeudi 24 mai, à Washington. / Evan Vucci / AP

Le revers est à la hauteur des attentes qu’avait suscitées Donald Trump. En renonçant pour l’instant, dans une lettre adressée le jeudi 24 mai au dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, à un sommet historique prévu à Singapour le 12 juin, le président des Etats-Unis paie peut-être son empressement du 8 mars.

Ce jour-là, apprenant que le conseiller sud-coréen à la sécurité nationale, Chung Eui-yong, se trouvait à Washington au lendemain d’une visite à Pyongyang, le président avait exigé de le rencontrer sur le champ. Il s’était ensuite rendu pour la première fois dans la salle de presse de la Maison Blanche, au beau milieu de l’après-midi, pour informer les journalistes présents de l’imminence d’une déclaration importante de son visiteur.

Ce dernier s’était exécuté quelques instants plus tard, pour faire part de l’invitation lancée à Donald Trump par Kim Jong-un et de la réponse positive du président des Etats-Unis. Ce dernier avait manifestement pris de court ses propres conseillers, placés devant le fait accompli.

Cette annonce ouvrant la voie à un accord et à un éventuel renoncement de la Corée du Nord à ses armes nucléaires reposait-elle sur un malentendu ? L’annulation de jeudi le donne à penser, même si dans l’intervalle, Mike Pompeo, tout d’abord en tant que directeur de la CIA puis comme secrétaire d’Etat, s’est rendu à deux reprises à Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-un.

Donald Trump a multiplié les propos flatteurs à l’endroit du dirigeant nord-coréen, qu’il insultait quelques mois plus tôt

Ce dernier a donné une série de gages au cours des dernières semaines à Washington en stoppant les essais nucléaires et balistiques conduits à marche forcée depuis son arrivée au pouvoir, puis en libérant trois ressortissants américains détenus dans son pays, puis enfin en annonçant la fermeture du site d’essais de Punggye-ri, devenue effective le même jour que l’annonce de l’annulation. En réponse, Donald Trump a multiplié les propos flatteurs à l’endroit du dirigeant nord-coréen qu’il insultait quelques mois plus tôt, le qualifiant ainsi d’« honorable ».

Lorsque les premiers signes de crispation de Pyongyang se sont fait sentir, il a de même offert un avenir radieux au dirigeant nord-coréen. Si ce dernier satisfait aux exigences de Washington, « il sera en sécurité. Il sera heureux. Son pays sera riche », a-t-il ainsi assuré le 22 mai en recevant le président de la Corée du Sud, Moon Jae-in.

Rien n’a jamais filtré en revanche des bases et des termes retenus pour le sommet de Singapour. A commencer par la définition même de la dénucléarisation évoquée par les deux parties. Ecartant toute approche graduelle et toute forme de réciprocité, Washington exige en effet comme préalable à la moindre levée des sanctions internationales qui pèsent sur Pyongyang une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible », même si Donald Trump a semblé envisager mardi des étapes, à condition qu’elles soient rapprochées. Pour les dirigeants nord-coréens, cette dénucléarisation a toujours également concerné la Corée du Sud, au travers du bouclier américain.

Un « modèle » libyen

A l’empressement du président se sont ajoutés des messages jugés particulièrement inquiétants par Pyongyang de la part de son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, qui avait présenté fin avril comme un « modèle » le renoncement unilatéral à un projet nucléaire par la Libye en 2003. Le vice-ministre des affaires étrangères nord-coréen, Kim Kye-gwan, l’a vivement dénoncé le 14 mai, tout comme ce qu’il a présenté comme un diktat américain.

« Si les Etats-Unis nous mettent au pied du mur et exigent unilatéralement que nous renoncions à l’arme nucléaire, nous n’aurons plus d’intérêt pour des discussions et nous ne pourrons que reconsidérer le sommet à venir », a-t-il assuré dans un communiqué qui dénonçait la tentation « extrêmement sinistre visant à imposer » à son pays « le destin de la Libye ou de l’Irak », deux pays plongés dans le chaos après des interventions américaines qui s’étaient soldées par la mort de Mouammar Kadhafi, en 2011, après celle de Saddam Hussein, en 2006.

Donald Trump a tenté de prendre ses distances avec la formule du « modèle libyen », manifestement pour que le sommet puisse se tenir, alors que les canaux de communication se grippaient selon la presse américaine. Son vice-président, Mike Pence, l’a cependant reprise à son compte lundi en assurant que pour la Corée du Nord, « cela ne pourra finir que comme le modèle libyen si Kim Jong-un ne conclut pas un accord ». Cette insistance a exaspéré une nouvelle fois Pyongyang, qui a renoué sa rhétorique incendiaire, précipitant l’annulation de jeudi.

Dans sa lettre comme au cours d’une intervention à la Maison Blanche, jeudi, Donald Trump a laissé la porte ouverte pour une rencontre organisée à une date ultérieure. La confiance minimale pour un tel sommet, cependant, n’est pour l’instant pas au rendez-vous.