A Paris, Nuit debout à l’heure de la présidentielle
A Paris, Nuit debout à l’heure de la présidentielle
Par Adrien Pécout
A trois semaines du premier tour de l’élection, ce dimanche à Paris, les participants du mouvement fêtaient le premier anniversaire de leur rassemblement spontané.
Place de la Republique, à Paris, le 31 mars 2017. | BENJAMIN CREMEL / AFP
Quelques mains qui tournicotent. A Paris, sur cette place de la République qu’ils connaissent bien, les participants ont conservé leur (silencieuse) façon de faire pour approuver un orateur. « Le 17 avril, blocus contre le meeting de Marine Le Pen ! », exhorte l’un d’eux micro en main, au milieu du cercle, pour faire capoter le prochain rassemblement parisien du Front national. A trois semaines du premier tour de la présidentielle, dimanche 2 avril et en plein jour, les participants au mouvement Nuit Debout fêtent leur premier anniversaire.
Des affiches collées au mur rappellent que ce premier anniversaire se tient les « 31 », « 32 » et « 33 mars », allusion au mois de mars de l’année dernière qui devait durer et durer. Mais, cette année, plusieurs de ses participants comptent bien également respecter le calendrier électoral de la présidentielle. Vincent, 42 ans, veut « une victoire de La France insoumise ». Assis à même le sol, ce photographe se redresse pour justifier son intention de voter Jean-Luc Mélenchon - tendance majoritaire parmi les nuit-deboutistes rencontrés.
Selon le Parisien, qui se fait appeler Blanqui en hommage au révolutionnaire du XIXe siècle, le cofondateur du Parti de gauche « [nous] parle parce qu’il est le seul à parler du vivre ensemble, à avoir une réflexion sur ce qu’est un peuple, une communauté d’égaux ». Outre sa « règle verte » censée promouvoir une transition écologique, M. Mélenchon aurait également un avantage majeur, « le b.a-ba » : vouloir « abolir la loi travail » de la ministre Myriam El Khomri, cette même loi contre laquelle manifestaient les participants de Nuit Debout jusqu’à constituer leur rassemblement spontané.
« Pour une constitution citoyenne »
Ce dimanche après-midi, nulle bannière de partis politiques. Seulement un drapeau rouge en lettres blanches pour rappeler le nom de « Nuit Debout ». Nulle consigne de vote non plus : quoique bien identifié à gauche, le mouvement n’a jamais revendiqué la présence d’un porte-parole officiel, ni de rattachement à un parti. « Pas possible », tranche Antoine, 47 ans, ingénieur, qui rappelle qu’il s’agit d’« un archipel d’initiatives, de collectifs » plutôt que d’un ensemble « homogène ».
Du bout des lèvres, lui aussi reconnaît qu’il votera pour Jean-Luc Mélenchon, « pour le démocrate ». « On l’embêtera pour qu’il fasse une vraie constitution citoyenne, pour des assemblées locales », glisse-t-il en guise de soutien critique à sa proposition de passer à la VIe République. Au stand d’Antoine, quelques fascicules à distribuer : les propositions de Nuit Debout ont pour objectif « la fin de la professionnalisation de la vie publique » et agrègent plus de soixante-dix propositions « à partir de remontées du terrain ».
Il faut dire que le candidat Mélenchon est déjà allé, à plusieurs reprises, dans le sens du mouvement. Le 18 mars, alors que sa marche se concluait devant cette même statue de la République, le dirigeant a rendu hommage aux « assemblées de Nuit Debout qui ont, jour après jour, au prix du rêve, dessiné l’épure d’un monde nouveau où de telles lois ne feraient plus la loi parce que nos vies méritent mieux qu’elles ». En écho, des ateliers proposés dimanche proposent justement de réfléchir à la création d’une assemblée constituante.
« Boycott ! »
Non loin du groupe de parole principal, un autre espace s’est constitué. Marion, 35 ans, est encore en réflexion. « Je collerais bien ensemble le programme de Mélenchon et la tête de Hamon ». D’après l’entrepreuneuse, à chacun ses inconvénients. Qu’il s’agisse du socialiste Benoît Hamon : « Je m’étais fait la promesse de ne plus jamais voter socialiste… » Ou bien de l’ex-socialiste Jean-Luc Mélenchon : « ll dit qu’il veut sortir de la Ve République, mais il représente encore une figure très paternaliste, très présidentielle… »
Près d’une cantine qui distribue des soupes de légumes à la demande, des inscriptions appellent au « boycott ! » de la présidentielle et des législatives. Marion, 28 ans, refuse l’abstention. Mais la kinésithérapeute des Hauts-de-Seine se dit dans le flou : « Je sais que je vais voter, mais pour qui ?… J’ai peur que la présidentielle ne suffise pas à faire entendre la volonté des Français. » L’idée de présenter aux législatives des candidats de la société civile ayant participé à Nuit Debout l’aurait séduite. Mais hormis celle du journaliste François Ruffin dans la Somme, la réalité l’a rattrapée.
Près du stand « antipub », Noam est encore plus sceptique. « Il semblerait que je sois partie pour ne pas voter », considère l’étudiante en théâtre. A 20 ans, elle récuse l’idée « de remettre [son] espoir aux mains de personnes dont [elle n’est] même pas sûre qu’elles ont à cœur de défendre ce qu’elles disent. » Accroupis à ses côtés, des passants prennent pinceaux et palettes mis à leur disposition pour détourner des affiches publicitaires.
Ici, une affiche qui transforme le slogan d’Optique 2000 (« zéro dépense ») en « zéro violence ». Plus tôt dans l’après-midi, la place de la République a justement accueilli une manifestation en mémoire de Liu Shaoyao, père de famille chinois de 56 ans tué par un policier dans des conditions controversées.