Attaque chimique en Syrie : « Le risque est bien celui de l’impunité pour Bachar Al-Assad »
Attaque chimique en Syrie : « Le risque est bien celui de l’impunité pour Bachar Al-Assad »
Une résolution condamnant l’attaque survenue à Khan Cheikhoun et appelant à une enquête est soumise, mercredi, au vote du Conseil de sécurité de l’ONU. Journaliste chargé de la diplomatie au « Monde », Marc Semo a répondu à vos questions.
Après l’attaque survenue mardi 4 avril à Khan Cheikhoun, une localité du nord-ouest de la Syrie. | AMMAR ABDULLAH / REUTERS
Une résolution condamnant l’attaque chimique survenue mardi 4 avril à Khan Cheikhoun, une localité du nord-ouest de la Syrie, et appelant à une enquête est soumise au vote du Conseil de sécurité de l’ONU, mercredi. Journaliste chargé de la diplomatie au Monde, Marc Semo a répondu à vos questions lors d’un tchat. En voici les principaux extraits.
Kate : En 2013, lors d’attaques chimiques par le régime Assad, il ne s’était rien passé du côté des « grandes » puissances. Les Etats-Unis, notamment, n’avaient rien fait. Bis repetita, cette fois-ci ? Impunité pour Assad ?
Marc Semo : Le risque est bien celui de l’impunité pour Bachar Al-Assad, mais ce n’est pas vrai qu’il ne s’est rien passé en août 2013 après le massacre de la Ghouta, dans la banlieue de Damas, où 1 400 personnes avaient été tuées en une fois par du gaz sarin. Certes, Barack Obama n’a pas tenu sa promesse sur la « ligne rouge », c’est-à-dire qu’il interviendrait si Assad utilisait l’arme chimique contre sa population, ce que la France lui a toujours reproché. Mais il a saisi la proposition des Russes d’imposer à Assad le démantèlement de son arsenal chimique, sous contrôle international, qui a été achevé en janvier 2016. Toutefois, il semble que le régime disposait, malgré ses engagements, d’encore un peu de matériel. Et le risque est effectivement aujourd’hui qu’il ne se passe rien.
Ruhr : Après la « ligne rouge » fixée par M. Obama, et allégrement franchie par le gouvernement Assad, nous avons eu une nouvelle preuve que le Conseil de sécurité est dans l’incapacité d’agir en raison des droits de veto dont disposent les membres permanents. Pourquoi la Russie changerait-elle sa stratégie maintenant ?
Oui, vous avez parfaitement résumé la situation. La Russie continue de soutenir le régime, elle sait qu’elle ne peut nier l’évidence, seuls elle et le régime syrien disposent de l’aviation dans ces zones et c’est pour ça que les Russes disent qu’il y a eu le bombardement d’un entrepôt où les rebelles stockaient des armes chimiques. Donc, on peut imaginer qu’elle vote une résolution très large, condamnant le chimique en général, mais même cela est malheureusement peu probable.
Bruno D. : M. Trump pourrait-il revenir sur le renoncement de son prédécesseur et faire de cette attaque un casus belli légitime ? Je suppose que la probabilité d’un tel retournement est plus que faible vu ses relations avec les Russes (qui se sont rendus maîtres du jeu sur place) et son isolationnisme affiché…
Effectivement, cette hypothèse est plus que faible à la fois à cause de ses relations avec les Russes et parce qu’il rappelle que la priorité pour lui est la lutte contre l’organisation Etat islamique. Dans les faits, si on ne se débarrasse pas du régime, il sera impossible de mettre fin au chaos syrien et à l’Etat islamique, mais telle n’est pas l’analyse aujourd’hui des Etats-Unis. Ce que l’on peut espérer dans le meilleur des cas, c’est que les Occidentaux pourront utiliser ce crime pour faire pression sur la Syrie dans les négociations diplomatiques.
Justice : Quel est l’intérêt pour le régime syrien d’utiliser des armes chimiques ?
Si l’on réfléchit rationnellement, aucun. Il est en train de gagner la guerre, il est en train de rétablir plus ou moins sa position diplomatique. Même les Américains disent que le départ d’Assad n’est plus la priorité. Mais le régime aujourd’hui est une espèce de conglomérat de seniors de la guerre variés, de milices. Et on ne peut pas exclure que certains utilisent de telles armes ponctuellement.
Jusqu’ici, il y a eu au moins huit cas répertoriés par les enquêteurs de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Il y en a eu probablement des dizaines d’autres, mais il s’agissait d’armes au chlore, qui sont peu meurtrières, et surtout, les produits chlorés ne font pas formellement partie des choses interdites puisqu’ils peuvent être utilisés aussi pour l’agriculture. Il y a une espèce de flou juridique pour les produits chlorés. Là, l’émotion est beaucoup plus grande parce qu’il s’agit probablement, au vu du bilan et des symptômes, de gaz de type sarin.
Mimile2000 : Les rebelles ont-ils les capacités de produire de telles armes ?
Probablement non, sinon pour le chlore, qui est extrêmement rudimentaire et très peu meurtrier. Là, il s’agit probablement de sarin, ou d’un produit équivalent. On ne peut pas exclure que les rebelles aient pu à un moment ou à un autre s’emparer de tels obus, mais en tout cas pas les fabriquer. Mais même ce scénario reste très improbable, car les stocks d’armes chimiques du régime étaient extrêmement bien contrôlés et gardés.
Ananas : Le gaz en question faisait-il partie de l’arsenal qui devait être détruit ? Quelle est la responsabilité juridique de l’organisme chargé de sa destruction ?
L’arsenal qui devait être détruit, c’était l’arsenal tel qu’il avait été signalé par le régime. Si c’était une partie de ses stocks qui n’a pas été déclarée, alors c’est le régime qui est coupable, et c’est le seul.
S’il est évident que le régime n’a pas pu cacher des stocks importants, on ne peut pas exclure qu’il ait réussi à dissimuler certaines petites quantités de telles substances.
Michel. R : Etant donné que la Russie possède d’importants intérêts stratégiques en Syrie (base militaire, volonté à travers son intervention de montrer qu’elle est plus qu’une puissance régionale…), la gravité du contexte actuel peut-elle la pousser à agir contre ses intérêts ou bien utilisera-t-elle une nouvelle fois son veto face aux puissances occidentales ?
La Russie est aujourd’hui face à un dilemme en Syrie. Son intervention à l’automne 2015 avec finalement très peu de moyens (5 000 soldats et l’aviation) lui a permis d’avoir la maîtrise du jeu au point de vue militaire et sur le terrain. Et Moscou sait que le régime, même avec son aide, ne peut pas gagner la guerre ni reconquérir tout le territoire. Moscou craint l’enlisement.
La Russie sait qu’elle ne peut pas assurer la reconstruction avec un PIB inférieur à celui de l’Italie. Donc, il lui faut à la fois une sortie diplomatique de cette guerre et un accord avec les Occidentaux pour l’avenir de la Syrie. Ce que l’on peut imaginer, donc, c’est que la Russie défende le régime, mais utilise ce qu’il s’est passé comme une pression pour l’amener à faire un certain nombre de concessions. Cela au moins si Moscou est rationnel, ce qui reste à prouver.
Axeldenis : Si un pays propose une intervention militaire, les autres suivront-ils ? Refuseront-ils catégoriquement ?
Aujourd’hui, personne ne pense mener une opération militaire en Syrie. Cela aurait été possible en 2013 de mener des frappes contre les défenses antiaériennes et un certain nombre d’infrastructures militaires du régime, parce qu’il y avait encore à l’époque une rébellion puissante et qui n’était pas sous l’hégémonie des islamistes. C’est après cette reculade des Occidentaux que les djihadistes se sont d’ailleurs développés en Syrie.
Mais aujourd’hui, une intervention militaire signifierait, premièrement, un affrontement direct avec la Russie, ce dont personne ne veut, et l’effondrement du régime ne ferait encore ajouter qu’un peu plus au chaos, alors qu’aucun pays, ni de la région ni occidental, n’imagine envoyer des troupes au sol pour stabiliser la situation.
Mimile2000 : Quels sont les enjeux stratégiques à Idlib ? Y a-t-il à proprement parler une « bataille d’Idlib » qui justifierait les bombardements de l’aviation syrienne ?
Oui, Idlib est aujourd’hui un des fronts les plus importants puisque c’est la dernière zone du Nord-Ouest contrôlée par la rébellion. Et, plusieurs fois, le régime a menacé de faire encore pire à Idlib que dans l’est d’Alep et d’y écraser les rebelles.
VhonNuevhiteg : Pourquoi le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU ne peuvent-ils pas faire appliquer les conventions de La Haye (sur l’interdiction des armes provoquant des dégâts superflus) et de Genève (sur la protection des civils) ?
La question aujourd’hui est celle du jugement, un jour ou non, des exécutants mais surtout des donneurs d’ordre qui ont violé ces conventions internationales, et notamment celle interdisant les armes chimiques. Mais c’est extrêmement compliqué, la Cour pénale internationale n’est compétente que pour les pays ayant ratifié le traité et pour les ressortissants de ces derniers.
Le procureur de la Cour pénale internationale peut se saisir d’un dossier, mais il lui faut l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU et, de nouveau, on retombe sur le même point de blocage. Donc, il serait dans l’absolu peut-être possible de juger des Syriens dans des juridictions nationales au titre de ce que l’on appelle la « compétence universelle », c’est-à-dire pour des crimes spécialement horribles (dont la torture), cela dépend des lois des pays et de plus, il faudrait que les accusés aient mis le pied dans ces pays. Donc, c’est extrêmement compliqué.
Syrie : premières images suite à la possible attaque au gaz chimique dans le nord-ouest du pays
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