De la cale d’un bateau à la tour Eiffel : le parcours d’Omar, réfugié gambien en France
De la cale d’un bateau à la tour Eiffel : le parcours d’Omar, réfugié gambien en France
Par Anna Villechenon
Menacé de mort dans son pays, le jeune homme de 28 ans a obtenu le statut de réfugié et reconstruit sa vie en France.
Dans un café parisien, Omar raconte son émigration de Gambie jusqu’en France, où il est arrivé en mars 2014. | ANNA VILLECHENON / « LE MONDE »
Vêtu d’un jogging et d’un sweat à capuche sous une veste kaki, Omar sort du chantier sur lequel il travaille, dans le 10e arrondissement de Paris. Il est midi, c’est l’heure de sa pause déjeuner. Son visage encore poupin est fendu d’un large sourire, qui semble inamovible. « Ça va bien », annonce d’entrée le jeune homme de 28 ans, originaire de Gambie, petit pays de l’Afrique de l’Ouest enclavé entre l’océan Atlantique et le Sénégal. « Aujourd’hui, je n’ai plus de problème. »
Omar est arrivé en France en mars 2014, après deux ans de fuite et plusieurs étapes. En remuant rapidement son café, il raconte avec pudeur son ancienne vie à Brikama, deuxième plus grande ville de Gambie. Ses « problèmes » ont commencé, assure-t-il, lorsque, jeune adulte, il tombe amoureux de l’une de ses amies d’enfance, promise par son père à l’un de ses cousins. Elle, dont il souhaite taire le nom, appartient à l’ethnie minoritaire des Diolas, alors au gouvernement. Lui, à celle des Mandingues, majoritaire. Selon Omar, son beau-père s’oppose à leur union et le menace de mort.
Ne pouvant se marier, le couple décide malgré tout d’avoir un enfant. « Elle pensait qu’étant enceinte, son père m’accepterait », souffle-t-il. Mais à l’annonce de la grossesse, les menaces s’amplifient : son commerce est saccagé, son beau-père – un militaire – le fait rechercher, raconte-t-il. Omar dit n’avoir eu d’autre choix que de fuir au Sénégal, « sans rien, le 8 février 2012 ». Cette date, qu’il connaît par cœur et donne sans réfléchir, marque le début d’une vie d’errance.
Caché dans la cale d’un bateau
Le jeune homme reste d’abord quelques mois en Casamance, région sénégalaise au sud de la Gambie, où beaucoup de ses compatriotes ont fui en raison des tensions politiques qui secouent le pays. Il gagne de quoi manger en lavant des voitures. Mais Omar apprend par sa famille que sa vie est toujours menacée et décide de partir plus loin encore, jusqu’à Dakar, la capitale sénégalaise. Là, il trouve du travail dans le bâtiment, mais aussi celui qui va l’aider à émigrer en France : son patron. « Je lui ai raconté mon histoire. Il me considérait un peu comme son fils. Il m’a dit que je ne pouvais pas rester comme ça, en danger, et a décidé de m’aider », explique-t-il, presque encore surpris d’avoir eu cette chance.
Au début de 2014, son patron le confie à l’un de ses amis, un passeur, qui l’emmène dans un port en Mauritanie. Vêtus d’habits de travail et de casques de chantier, Omar et une poignée d’autres hommes se font passer pour des employés et montent clandestinement à bord d’un porte-conteneurs, avec la complicité d’un marin. « On s’est cachés dans la cale. Personne ne savait où on allait, ni combien de temps le voyage allait durer. La nuit, quelqu’un venait nous donner à manger et à boire », détaille Omar, sans se départir de son sourire, imperceptiblement figé.
L’accostage sonne la fin du suspense pour le jeune homme et ses compagnons de fortune : ils se trouvent en France, à Marseille. Ils remettent leurs habits et casques de travail et s’échappent du bateau comme ils y étaient entrés, invisibles et désormais sans chaperon. Omar s’étend peu sur ses sentiments durant cette période et préfère n’en garder que le positif : il n’est « plus en danger de mort ».
Tuer le temps
Après quelques jours d’errance dans la cité phocéenne, Omar entend des Africains parler wolof, langue qu’il a apprise au Sénégal, et reste dans le quartier. C’est là qu’il fait une deuxième rencontre cruciale. « Un homme m’a dit que lui aussi était passé par là, et qu’il pouvait nous aider en nous payant un billet de train, à moi et à deux autres hommes », se remémore-t-il. Tous trois embarquent dans la foulée, direction Paris. C’est le 10 mars 2014.
Omar arrive dans la capitale, toujours sans rien, toujours sans connaître personne. Il arpente les rues au hasard et finit par glaner quelques conseils en wolof dans le quartier de Barbès, dans le 18e arrondissement. On lui dit d’aller voir France Terre d’asile. Rapidement, l’association d’aide aux demandeurs d’asile lui propose une chambre dans un hôtel parisien, qu’il partage avec un Togolais, devenu depuis son ami. En parallèle, il a déposé une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Commence alors pour Omar une longue attente. Bénéficiaire de l’allocation de demandeur d’asile – 11 euros par jour –, il n’a pas encore le droit de travailler. Les premiers mois, abattu, il reste cloîtré. L’obtention d’un titre de transport à prix réduit est une première libération. Le jeune homme tue le temps en arpentant l’Ile-de-France en transports en commun. « Je suis allé voir les endroits touristiques, dit-il en riant, l’Arc de triomphe, la tour Eiffel… Sinon, je prenais le RER A, j’allais jusqu’au bout de la ligne, Cergy, Torcy, et je revenais… ça faisait passer le temps. Je n’avais rien d’autre à faire. »
« Quand j’ai vu mon nom sur la liste, je n’ai plus eu peur »
Plus de deux ans après son arrivée, en juillet 2016, c’est le soulagement. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) lui accorde le statut de réfugié statutaire, après que l’Ofpra le lui a d’abord refusé. « J’ai cherché mon nom sur la liste. Quand je l’ai vu, je n’ai plus eu peur. Je me suis dit : “Ça va, ça y est, je suis protégé” », dit-il simplement, toujours avec le sourire. Seule ombre au tableau : il ne peut pas retourner dans son pays d’origine et revoir sa famille.
Omar ne s’attarde guère sur cet aspect douloureux. Tout juste dit-il, du bout des lèvres, que sa famille et son pays lui manquent cruellement. « Je pense tous les jours à eux, à ma compagne, à mon fils. Ça me travaille beaucoup de ne pas savoir quand je vais les revoir », signale-t-il le regard dans le vague. Durant sa fuite, Omar est devenu père d’un petit garçon qu’il n’a encore jamais rencontré. « Je l’ai vu par téléphone, il a un long nez, comme moi ! », déclare-t-il en mimant dans un éclat de rire. Sa compagne, qui a dû fuir elle aussi au Sénégal pour échapper aux menaces de son père, espère le rejoindre avec son fils dans un avenir proche.
Mais, auparavant, il veut avoir fini sa formation de plombier-chauffagiste, trouvé un travail stable et louer un appartement à lui, dans un an, espère-t-il. En attendant, il va emménager dans un appartement à partager avec d’autres hommes, grâce au dispositif provisoire d’hébergement des réfugiés statutaires (DPHRS). « Depuis petit, je me suis toujours battu, débrouillé, lâche Omar en haussant les épaules. J’ai toujours eu confiance en moi, je savais que j’allais m’en sortir. Et vous voyez, j’ai repris une vie tranquille. » Son sourire, éclatant, s’est rempli de fierté.