Manifestation d’étudiants, le 30 mars à Montpellier. / SYLVAIN THOMAS / AFP

Pourquoi la mobilisation des étudiants contre la réforme de l’accès à l’université semble prendre de l’ampleur ? Est-elle comparable à celle contre la loi Devaquet en 1986 ? Les formes de mobilisation étudiante évoluent-elles ? Les réponses de Robi Morder, juriste et président du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (Germe).

Après avoir peu mobilisé pendant plusieurs mois, le mouvement étudiant opposé à la sélection à l’université semble prendre de l’ampleur. Comment l’analysez-vous ?

Robi Morder : Pour qu’une mobilisation prenne, il faut un terreau fertile, mais cela ne suffit pas. Le terreau existe : il n’y a pas en tant que telle d’« adhésion » des étudiants ou lycéens au nouveau système d’accès à l’enseignement supérieur. Mais une forme de fatalisme a dominé jusqu’à aujourd’hui. L’échec des mobilisations contre la loi travail en 2016 et contre les ordonnances de 2017, ainsi que la procédure de tirage au sort pour l’Admission post-bac ont permis au gouvernement d’avancer sans trop d’opposition sur la réforme, alors que le thème de la sélection est historiquement explosif.

Actuellement, la multiplication des facs mobilisées se fait sur fond d’un nouveau climat social général de mécontentement (cheminots, retraités, fonction publique, etc.) qui redonnent confiance aux éléments mobilisés. Les violences à la faculté de droit de Montpellier ont pu catalyser la mobilisation. Le corps étudiant a été attaqué autant physiquement que symboliquement ; sa dignité, « son honneur » étant en jeu, c’est une source de mobilisation. Une sorte d’interdit y a été violé, avec des professeurs soupçonnés d’avoir cassé la figure à des étudiants au sein même du « sanctuaire universitaire ». Cela débouchera-t-il sur un statu quo, l’aménagement de la loi, son abrogation, ou même un moratoire comme compromis où personne ne perdrait la face ? Je ne suis pas devin pour prédire les suites. Je ne peux que réfléchir à partir des travaux de recherche du Germe, des archives de la Cité des mémoires étudiantes, pour donner des éléments. Le reste est du ressort des stratégies et tactiques des acteurs qui cherchent à élargir leurs marges d’action.

Les opposants à la réforme de l’accès aux études supérieures comparent souvent leur mobilisation à celle, victorieuse, contre la loi Devaquet en 1986. La situation est-elle comparable ?

Le projet de loi présenté par [l’ancien ministre de l’enseignement supérieur] Alain Devaquet en 1986 prévoyait la possibilité de sélectionner les étudiants à l’entrée de l’université. Mais il programmait aussi, contrairement à la loi Vidal, une hausse des droits d’inscription et une remise en cause du caractère national des diplômes. Il y avait donc un triptyque à même de mobiliser étudiants et lycéens. Par ailleurs, les contextes politiques diffèrent : à l’époque, les présidents d’université étaient opposés à la réforme Devaquet, aujourd’hui, ils sont favorables à celle du gouvernement. Par ailleurs en 1986 la France était dans une cohabitation, les opposants disposaient donc de quelques leviers institutionnels pour faire valoir leurs revendications.

Enfin, en 1986, la mobilisation avait pris avant que la loi ne soit adoptée. La loi Vidal a été promulguée début mars. Mais elle entre dans sa phase d’application, les enseignants des universités sont maintenant appelés à trier les dossiers des candidats : on entre dans le concret, le visible. Le rapport de force n’a pas abouti sur le retrait du projet de loi. Mais les étudiants et personnels mobilisés peuvent maintenant espérer peser sur sa mise en application concrète dans chaque établissement.

La récente modification du paysage syndical étudiant peut-elle avoir un effet sur la mobilisation ?

L’UNEF, mobilisée contre la loi, au nom de la lutte contre la sélection à l’université, a longtemps été majoritaire dans les instances représentatives. Or elle est dans cette arène passée deuxième, derrière la FAGE, organisation qui a soutenu le texte du gouvernement.

La division des deux principaux syndicats étudiants, qui partageaient la même position contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, peut donc jouer comme un frein à la mobilisation. Mais ce frein est avant tout symbolique, car sur le terrain, la capacité de mobilisation dans un sens ou dans l’autre ne tient pas au nombre d’adhérents ou d’élus. Ce qui compte dans ces moments, c’est le travail des militants sur le terrain, indépendamment de leur « poids » électoral. Il peut y avoir plus d’étudiants en assemblée générale que de votants aux élections au sein des universités, où seulement 10 % environ des étudiants se déplacent.

Est-ce à dire que les étudiants sont dépolitisés ? Pourquoi iraient-ils se mobiliser contre une sélection qui ne les concerne plus, étant déjà à l’université ?

Certes, ils sont 10 % à voter lors des élections universitaires, mais 50 à 60 % lors des présidentielles : on ne peut pas dire qu’ils sont dépolitisés ! Mais ils ne considèrent pas toujours l’université comme un lieu légitime pour exercer leur citoyenneté.

Les mobilisations étudiantes reposent souvent sur les étudiants de première, deuxième ou troisième année. Or depuis 2017, une sélection s’opère à l’entrée des études de master, ils sont donc eux aussi confrontés à la sélection. De plus, lorsqu’ils se mobilisent contre la sélection, cela peut être, aussi, en défense de valeurs, par générosité envers ceux qui vont arriver, voire pour se montrer « dignes » des générations précédentes qui ont défendu un accès de tous à l’université. La mobilisation est d’ailleurs souvent plus importante dans les filières de type lettres ou sciences humaines et sociales, là où se concentrent le plus les jeunes issus des catégories populaires ou intermédiaires.

Blocage et occupation des bâtiments, assemblée générale, manifestations, etc. : les formes de mobilisations étudiantes ne semblent pas changer dans le temps…

Il est en effet difficile de renouveler le répertoire d’actions. Les blocages de bâtiments universitaires se sont surtout imposés en France à partir de la mobilisation contre le CPE en 2006. Hérités des blocages des lycées de 2005 contre la loi « Fillon », ils ont tendance à remplacer les traditionnels piquets de grève. Selon les circonstances, ces blocus peuvent être acceptés par les autres étudiants, ou soulever une majorité contre eux.

Pour ses partisans, le blocus est destiné à faire venir les camarades en assemblée générale en les libérant de leurs cours. L’idée est que plus l’AG rassemblera d’étudiants, plus elle sera légitime dans son vote sur les suites du mouvement (poursuite ou non du blocage, manifestations, revendications, etc.). Leur enjeu est d’élargir le noyau dur des militants de la première heure, en permettant à d’autres de s’investir, de prendre des responsabilités. Car pour qu’un mouvement tienne il faut aussi savoir « occuper » ceux qui le font. Cours alternatifs, débats en tout genre, AG, ateliers, pièces de théâtre, musique, etc. : le mouvement Nuit débout de 2016, c’était comme une faculté occupée, mais sur la place publique.