Devant la CPI, Pretoria réaffirme l’immunité d’Omar Al-Béchir
Devant la CPI, Pretoria réaffirme l’immunité d’Omar Al-Béchir
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
Ce vendredi 7 avril, face aux juges de La Haye, l’Etat sud-africain a soutenu qu’il n’était pas de son devoir d’arrêter le président soudanais sur son sol en 2015.
C’est à l’occupation de la galerie publique que l’on devine l’intérêt de l’audience du jour. Ce vendredi 7 avril, l’Afrique du Sud est devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, aux Pays-Bas, pour débattre de son échec à arrêter Omar Al-Béchir lors de sa visite au sommet de l’Union africaine (UA), en 2015. Les rangs de la galerie publique sont surtout occupés par des juristes, mais quelques diplomates sont aussi présents, comme l’ambassadrice de l’Ouganda au Benelux. On devine donc que la question est politico-juridique… et que les débats seront très techniques.
L’affaire remonte à juin 2015. Invité d’un sommet de l’UA, Omar Al-Béchir foule le sol sud-africain malgré les mandats d’arrêt pour génocide et crimes contre l’humanité émis contre lui par la CPI en 2009 et 2010. « Bien sûr que c’était une inquiétude pour les autorités sud-africaines, explique l’avocate Sandra de Wet aux juges. Nous savions qu’il y aurait des problèmes. » Lorsqu’il confirme sa présence au sommet, Omar Al-Béchir s’enquiert de son immunité. « Comme lors de tout sommet », Pretoria établit un accord confirmant les immunités dont jouissent les délégations.
Le Soudanais peut tranquillement poser ses bagages, jusqu’à ce que le South Africa Litigation Center (SALC), une ONG, se tourne vers la justice sud-africaine, qui ordonne son arrestation. Mais lorsque tombe la décision, Omar Al-Béchir est déjà en vol pour Khartoum. L’épisode suscite de très vives protestations de la part d’ONG, de juristes et de l’opposition. Après dix-huit mois de procédures, la Cour suprême confirme qu’il aurait dû être arrêté et transféré à la CPI. Le gouvernement a perdu.
Etats frondeurs
La procédure sud-africaine bouclée, la CPI convoque donc à son tour l’Etat sud-africain, qui se rend volontiers à La Haye. Soutien historique de la Cour, Pretoria a rejoint les Etats frondeurs de l’UA après cet épisode. Ils souhaitent remettre en question la levée de l’immunité des chefs d’Etat en fonction lorsqu’ils sont suspectés de crimes de guerre, comme l’implique la création de la CPI.
A la Cour, ce vendredi, Dire Tladi, conseiller juridique de Pretoria, assure qu’« il n’y a aucun devoir, pour l’Afrique du Sud, d’arrêter un chef d’Etat en fonction » et ajoute que l’affaire « aura des conséquences profondes » car « il ne s’agit pas simplement de l’immunité de M. Al-Béchir, mais de l’immunité de nombreux chefs d’Etat ». C’est précisément le débat dont ne veut pas le procureur. « Nous ne sommes pas ici aujourd’hui pour débattre de la question de l’immunité », rétorque Julian Nicholls, affirmant qu’en ratifiant le traité de la CPI, « l’Afrique du Sud a accepté la levée des immunités ».
Les avocats de Pretoria reconnaissent ce fait, mais rappellent qu’un autre article du code de la Cour stipule qu’un Etat ne peut être contraint d’agir de façon incompatible avec ses obligations internationales en matière d’immunité, à moins d’obtenir le consentement ou la coopération du principal intéressé. En tant qu’Etat hôte du sommet de 2015, l’Afrique du Sud ne pouvait aller contre l’accord d’immunité.
Les avocats rappellent aussi que le Soudan n’a pas ratifié le traité de la CPI. Si la Cour enquête sur les crimes commis au Darfour, c’est à la demande du Conseil de sécurité des Nations unies. Or, selon l’Afrique du Sud, l’ONU n’a pas levé l’immunité du président soudanais. Ce que conteste le procureur, qui estime que la résolution de l’ONU impose au Soudan de coopérer avec la CPI et que, dès lors, Omar Al-Béchir ne jouit plus de son immunité pour les crimes dont il est suspecté.
Julian Nicholls espère des juges une décision qui pèse sur l’avenir. « Si les Etats parties ne satisfont pas à leurs obligations, il est impossible pour la CPI de remplir son mandat », leur dit-il aux juges, avant de leur demander de référer le cas sud-africain au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Assemblée des membres de la Cour. Les juges devraient rendre leur décision d’ici l’été. L’Afrique du Sud risque, tout au plus, une condamnation diplomatique.
Bras de fer
Que ce soit avant ou après l’épisode de la fuite d’Omar Al-Béchir d’Afrique du Sud, de nombreux Etats membres de la Cour ont eux aussi laissé le président soudanais fouler leur sol. La semaine dernière encore, il se rendait en Jordanie pour un sommet de la Ligue arabe, sans être inquiété. Les condamnations de la CPI n’y ont rien changé et, jusqu’ici, l’ONU est restée passive. C’est pourtant le Conseil de sécurité des Nations unies qui avait saisi la Cour des crimes au Darfour, en mars 2005. Malgré cela, l’ONU a décliné l’invitation à participer au débat devant les juges de La Haye.
La décision des juges de la CPI pèsera sans nul doute sur le bras de fer qui oppose régulièrement la Cour à plusieurs pays membres de l’UA. Beaucoup d’Etats, comme le Kenya, ont menacé de revenir sur leur ratification du traité de la CPI. En octobre 2016, le gouvernement sud-africain est passé à l’acte, sans avoir consulté le Parlement. Mais début mars, la justice sud-africaine a jugé cette décision « invalide et inconstitutionnelle ».