Réforme des études médicales : la profession demande à être entendue
Réforme des études médicales : la profession demande à être entendue
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
Plusieurs représentants syndicaux et hospitaliers déplorent la réduction d’une année de la formation de troisième cycle des études de médecine, et un manque de concertation avec les professionnels.
TRIBUNE. Une réforme du troisième cycle des études médicales est attendue depuis 2009 par l’ensemble de la profession, des étudiants aux universitaires, et par les tutelles. Les internes ont accueilli l’idée d’une réforme comme une opportunité d’améliorer la formation des jeunes médecins et se sont investis dans ce projet porteur d’enjeux majeurs pour l’avenir de la médecine française, et ce, malgré le climat incertain dans lequel l’hôpital public est aujourd’hui plongé.
Le 2 mars dernier, la sortie du livre Omerta à l’hôpital. Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, de Valérie Auslender (Michalon, 320 p., 21 €), a mis en lumière le harcèlement moral, les horaires insoutenables et la pression constante que subissent les étudiants en santé dans le cadre de leur formation, avec les conséquences que l’on imagine sur la qualité des soins. Une étude publiée en juin 2016 par l’Intersyndicat national des internes (ISNI) a même révélé que la durée de travail des internes atteignait soixante heures par semaine en moyenne, bien loin du plafond légal fixé à quarante-huit heures par le droit européen. Il a fallu quinze ans pour faire entrer le repos de sécurité dans les mœurs, sécurité pour le médecin comme pour le patient, et ce repos n’est parfois pas respecté dans certains services. Des conditions difficiles qui n’épargnent pas les médecins seniors, sommés de faire toujours plus avec moins et dont les appels réguliers à la revalorisation des carrières médicales hospitalières restent sans réponse. Le ras-le-bol se répand dans les couloirs de l’hôpital, avec des conséquences pouvant être considérables sur les soins.
Si la réforme, telle que présentée actuellement, comporte des avancées que nous saluons – tel le développement d’outils numériques nationaux –, certains points d’inquiétude majeure n’ont jamais trouvé de réponse. La question du plein exercice, équivalant à réduire d’un an la formation dans toutes les spécialités qui n’ont pas vu la durée de leur internat augmenter, nous semble incompatible avec l’évolution de nos métiers comme avec le principe même de l’autonomie supervisée et encadrée. A l’heure où la médecine et les maladies se complexifient, la réduction de la durée de formation est un risque substantiel pour la qualité des soins de demain. C’est également le cas concernant le manque de discussion autour du contenu des options et formations spécialisées transversales (FST) et de la répartition de leur flux sur le territoire. Dès lors, comment un futur médecin peut-il prétendre choisir sa ville et sa spécialité de formation sans ces informations indispensables ?
Nous avons également tenté d’alerter les tutelles sur la modification de la répartition des internes sur le territoire qui videra les services de périphérie et accentuera ainsi encore davantage les inégalités territoriales d’accès aux soins. La perspective de faire des stages en exercice libéral s’en éloigne d’autant. D’importantes et légitimes réserves ont enfin été émises par les spécialités pour garantir leur sauvegarde sans jamais trouver de réponse malgré un enjeu considérable de santé publique. Le sentiment d’une réforme essentielle bâclée pour des contingences liées à l’agenda politique domine aujourd’hui, tout comme celui de ne pas être entendu.
Il n’y a pas eu de consultation avec la profession sur de nombreux sujets, et certains acteurs – pourtant incontournables – ont été écartés, à l’image du Conseil national de l’ordre des médecins, garant de la qualité des soins offerts à la population. Nous, professionnels de la santé, sommes pourtant particulièrement légitimes pour apporter des solutions concrètes aux enjeux de santé publique de demain, c’est pourquoi nous demandons aux ministères de ne pas publier de texte législatif avant de nous avoir pleinement entendus. La période électorale justifie-t-elle une accélération du calendrier telle que la concertation soit négligée, que des décisions soient prises unilatéralement, nonobstant les recommandations des professionnels, et que certains professeurs universitaires tentent d’inhiber la parole de responsables syndicaux pour faire taire des inquiétudes pourtant légitimes ?
Notre démarche se veut constructive. Elle vise à éviter le scénario d’une réforme mal calibrée, expédiée sans réelle discussion, potentiellement porteuse de vices et qui devra être perpétuellement corrigée par de nouveaux arrêtés. Nous demandons aux tutelles d’assurer un dialogue approfondi entre les personnels concernés et les pouvoirs publics afin de parvenir à une solution concertée à la hauteur des enjeux. En effet, comment poser des bases solides dans un état de mouvance perpétuel ? Pourquoi surseoir ainsi la santé des Français à des arrêtés qui ne verront peut-être jamais le jour ? Ne devrait-elle pas être au contraire une priorité nationale ?
Olivier Le Pennetier, président de l’Intersyndicat national des internes ;
Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français ;
Dr Nicole Smolski, présidente d’Action praticiens hospitaliers ;
Dr Max-André Doppia, président d’Avenir Hospitalier ;
Dr Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux ;
Dr Patrick Gasser, président de l’Union nationale des médecins spécialistes confédérés ;
Clément Delage et Jean-Victor Reynaud, présidents de la Fédération nationale des syndicats d’internes en pharmacie et biologie médicale.