Une école à Yakouta, dans la région du Sahel, au Burkina Faso, en 2009. | AHMED OUOBA/AFP

Certains tableaux noirs portent encore des traces de craie, mais, face aux pupitres des maîtres, les petits bancs de bois sont vides. Dans le Soum, province du nord du Burkina Faso bordée par la frontière malienne, l’intégralité des 380 écoles ont été désertées en mars, privant de cours plus de 54 000 écoliers. Dans l’Oudalan, la province voisine, plus de 60 % des enseignants ont également fui, selon le ministère de l’éducation.

« Mes collègues et moi sommes partis prendre nos affaires et nous avons fui. Sur la route, c’était la débandade »

Tous avaient en tête un nom, devenu le funeste symbole de la montée du terrorisme qui endeuille la région du Sahel depuis des mois : Salif Badini. Le 3 mars 2017, ce directeur de l’école de Kourfayel, une commune proche de Djibo, le chef-lieu du Soum, a été assassiné dans son établissement avec un parent d’élève. Le mouvement de panique a été immédiat. Dans les heures qui ont suivi, les 1 677 enseignants basés dans le Soum ont pris la fuite.

Adama*, enseignant dans une école primaire près de Djibo, était en classe lorsqu’un de ses collègues lui a appris la nouvelle. Avec ce ton calme et ce sourire si caractéristiques de la pudeur des Burkinabés, il raconte : « J’ai immédiatement libéré les élèves. Je ne leur ai rien expliqué, pour ne pas leur faire peur. Mes collègues et moi sommes partis prendre nos affaires et nous avons fui. Sur la route, c’était la débandade. Un cortège de motos. Personne ne causait, nous avions seulement peur. »

Garder le silence pour rester en vie

Les enseignants rencontrés pensent que si les terroristes les ciblent, c’est parce que certains d’entre eux ont participé à une formation à la police de proximité, en décembre 2016. Une opération organisée par le ministère de la sécurité et maladroitement médiatisée. « C’était une façon de nous rassurer, mais ça a produit l’effet inverse. Cela nous a exposés et identifiés comme des collaborateurs des forces de sécurité. Et ce sont ces gens-là que les terroristes ciblent », dénonce Lassane*, enseignant dans une école primaire au sud de Djibo. Depuis, la majorité de la population du Nord préfère garder le silence pour être sûre de rester en vie.

« Tu fais l’école du Blanc, tu formes des bandits, tu iras en enfer » Menaces reçues par les profs de la province du Soum.

La confiance installée, Adama accélère le débit : « Je sais qu’il y a des gens qui se réjouissent de notre fuite. Des individus sont venus me voir pour me dire que je formais des bandits et que quand tu fais l’école du Blanc, tu n’es pas sûr d’aller au paradis, mais plutôt en enfer. »

Adama n’est pas le seul à avoir reçu des menaces. Déjà, avant la mort de Salif Badini, les enseignants de trois écoles ont vécu l’incursion d’hommes armés et cagoulés dans leurs établissements. « C’était le 25 janvier, dans les écoles de Pétéga, de Lassa et de Pelem-Pelem, au nord de Djibo, précise Angéline Neya, directrice régionale de l’éducation au Sahel. Les terroristes ont intimé l’ordre aux enseignants de ne plus enseigner le français aux élèves. Seulement l’arabe et le Coran. »

Une semaine plus tard, c’était au tour des enseignants du village de Kouyé d’être inquiétés. « En plus de l’enseignement du Coran, ils ont exigé des collègues dames qu’elles portent le voile », précise un communiqué des syndicats de l’éducation publié la veille de l’assassinat de Salif Badini. Déjà, les cinq syndicats signataires demandaient aux autorités politiques de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la quiétude des populations dans la zone sahélienne ». Depuis, les ministères de l’éducation et de la sécurité sont allés à la rencontre des enseignants.

« Nous refusons d’être terrorisés »

Le 24 mars, Simon Compaoré, le ministre de la sécurité, a évoqué la future mise en place d’un dispositif permettant de renforcer la sécurité du corps professoral. « Je suis sûr que les gens vont commencer à rouvrir les classes, à enseigner dans la langue que nous utilisons aujourd’hui dans nos écoles pour ne pas subir le diktat des terroristes. Nous refusons d’être terrorisés », a déclaré le ministre, avec entrain et optimisme.

« Les paroles, c’est bien, mais on ne repartira pas enseigner tant que nous n’aurons rien de concret », affirme Lassane. Dans le Soum, la population a pu constater qu’un renfort sécuritaire avait bien été opéré. A la suite d’une rencontre avec le ministère de l’éducation, les 3 et 4 avril, le gouvernement a « félicité les acteurs de l’éducation en général et ceux du Soum en particulier pour avoir pris l’engagement de reprendre les cours ».

« Les autorités nous demandent de ne pas céder à la psychose, mais au fond, on sent un malaise »

Une partie des enseignants a ainsi rouvert ses classes, début avril. Mais d’autres hésitent encore à revenir exercer dans cette zone que certains appellent désormais « le front ». L’un d’eux confie : « Les autorités nous demandent de ne pas céder à la psychose et de rejoindre nos postes, mais au fond, on sent un malaise. Beaucoup d’entre nous n’arrivent pas à prendre une décision ferme et vont traîner le pas. »

* Les prénoms ont été changés

Le sommaire de notre série « Le Burkina à l’épreuve du terrorisme »

Dans le nord du Burkina Faso, pays longtemps épargné par le phénomène, la population vit désormais sous la menace djihadiste. Reportages et analyses.