Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en meeting à Izmir, dimanche 9 avril. | UMIT BEKTAS / REUTERS

Le but avoué de la réforme constitutionnelle soumise à référendum, dimanche 16 avril, est d’instaurer un régime présidentiel en Turquie. Recep Tayyip Erdogan, le leader charismatique du Parti de la justice et du développement (AKP), le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, règne déjà sans partage sur le pays. Premier ministre de 2003 à 2014, il a remporté l’élection présidentielle d’août 2014 (la première au suffrage universel) dès le premier tour, avec 51,5 % des voix.

Si, sur le papier, ses compétences de chef de l’Etat sont très limitées, il est en réalité l’homme fort du pays. Se sentant politiquement renforcé après l’échec du coup d’Etat du 15 juillet 2016 et les purges massives qui l’ont suivi, le « nouveau sultan », comme l’appellent ses adversaires, veut désormais entériner de jure cette situation.

La campagne du oui est soutenue par l’ensemble de l’appareil étatique et des médias, pour l’essentiel contrôlés par le pouvoir, mais une bonne partie de l’opinion reste hostile à ce « pouvoir d’un seul homme ». Le rejet d’une hyperprésidence est unanime dans les rangs de l’opposition de gauche et connaît aussi des partisans dans ceux de l’extrême droite nationaliste et au sein même de l’AKP.

Les sondages, à moins d’une semaine du vote, donnent le oui et le non au coude-à-coude, avec un certain avantage pour le second.

  • Quelles sont les principales dispositions de la réforme ?

Si la réforme est approuvée, l’essentiel du pouvoir exécutif appartiendra désormais au président, qui nommera lui-même les ministres et un ou plusieurs vice-présidents. Le poste de premier ministre, actuellement occupé par Binali Yildirim, disparaîtra. Le président aura aussi la haute main sur le pouvoir judiciaire. Il nommera douze des quinze membres de la Cour constitutionnelle et six des treize membres du Haut Conseil des juges et procureurs, chargé de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire. Le Parlement choisira les sept autres.

Mais dans la logique de la réforme, les députés, dont le nombre passera de cinq cent cinquante à six cents, seront dans leur majorité de la même couleur politique que le président. Ce dernier sera en effet le chef du parti, alors qu’il devait jusqu’à présent abandonner toute charge au sein de son mouvement. Pour limiter le risque de cohabitation, le président, en décidant une éventuelle dissolution des chambres, remet son propre mandat en jeu. Les élections législatives et présidentielles seront simultanées et se dérouleront tous les cinq ans — contre quatre actuellement.

  • Est-ce la fin du régime parlementaire en Turquie ?

Théoriquement non, même si, de fait, l’Assemblée sera réduite à jouer les utilités. Le président aura en effet la haute main sur l’état d’urgence, qu’il pourra proclamer en cas de « soulèvement contre la patrie » ou d’« actions violentes qui mettent la nation […] en danger de se diviser ». Cette décision sera de sa compétence, même s’il doit ensuite soumettre la question au Parlement, qui pourra alors décider de raccourcir sa durée, de la prolonger ou d’y mettre fin.

Le chef de l’Etat pourra gouverner par décret dans les domaines relevant de la large sphère de ses compétences exécutives et cela sans partage. Le Parlement aura toujours le pouvoir d’élaborer, d’amender ou d’abroger les lois, et, théoriquement, le président ne pourra promulguer de décret sur des sujets déjà clairement régulés par la loi. Mais il dispose d’un droit de veto.

Si le président est accusé ou soupçonné d’avoir commis un délit, le Parlement pourra exiger une enquête, mais devra recueillir une majorité des trois cinquièmes.

  • Est-ce l’instauration d’une présidence à vie ?

Dans le texte, non, mais dans les faits, oui, ou presque. Le projet de réforme constitutionnelle fixe au 3 novembre 2019 la date des prochaines élections présidentielle et législatives. Le président sera élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Toute la question est de savoir si les compteurs seront remis à zéro ou non lors de l’entrée en vigueur du nouveau texte. Cela reste flou. Si tel est le cas et si le nombre maximum de mandats était réinitialisé à partir de l’élection de 2019, Recep Tayyip Erdogan, 62 ans, pourrait rester au pouvoir jusqu’en 2029.

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  • Est-ce la fin du projet européen de la Turquie ?

Les négociations d’adhésion commencées en octobre 2005 sont déjà au point mort, et les dernières invectives de M. Erdogan, qui a traité de « nazis » les dirigeants européens ayant interdit les meetings de ses partisans sur leurs sols, n’ont pas amélioré les choses. Ce référendum pourrait leur donner le coup de grâce.

Les autorités turques clament que le but de la réforme est de garantir un fonctionnement plus rapide et efficace de l’exécutif ainsi qu’une meilleure stabilité en évitant les gouvernements de coalition. Certes, les Etats-Unis et la France sont des régimes présidentiels ou semi-présidentiels, mais il y a un équilibre des pouvoirs contrebalançant celui du chef de l’Etat. D’où l’opinion quasi unanime des juristes et des experts contre cette réforme, qui remet en cause des dispositions fondamentales de l’Etat de droit, à commencer par la séparation des pouvoirs.

Organe consultatif du Conseil de l’Europe, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, appelée Commission de Venise, a ainsi mis en garde contre un « régime personnel » et des amendements qui ne respecteraient pas le modèle d’un système présidentiel démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs. Elle alarme sur le risque de transformation du gouvernement en système présidentiel autoritaire, et contre la possibilité pour M. Erdogan de garder le pouvoir jusqu’en 2029.

L’Union européenne se préoccupe également du résultat du référendum, d’autant que M. Erdogan évoque le rétablissement de la peine de mort. « Je crois, si Dieu le veut, que le Parlement fera le nécessaire à propos de vos exigences sur la peine capitale après le 16 avril », a-t-il lancé lors d’un meeting, le 18 mars. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a aussitôt répliqué que « si la peine de mort [était] réintroduite en Turquie, cela entraînera[it] la fin des négociations ».

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