Présidentielle : « Les conséquences d’un “Frexit” seraient encore plus lourdes que celles du Brexit »
Présidentielle : « Les conséquences d’un “Frexit” seraient encore plus lourdes que celles du Brexit »
Le chef adjoint du service international du « Monde », Philippe Ricard, a répondu à vos questions sur les politiques européennes des candidats.
Affiches de campagne, à Saint-André-de-la-Roche (Alpes-Maritimes). | ERIC GAILLARD / REUTERS
Philippe Ricard, chef adjoint du service international au Monde, ancien correspond du journal à Bruxelles, a répondu en direct, mardi 18 avril, aux questions des internautes sur les politiques européennes des onze candidats à la présidentielle.
Jonas : La comparaison entre le Brexit et un « Frexit » n’est-elle pas hasardeuse dans la mesure où la réalisation du Brexit n’en est qu’à ses débuts et que, s’il semble inconcevable que le Royaume-Uni coupe toutes connexions avec l’UE (des traités bilatéraux verront le jour), la forme que le Brexit prendra n’est pas du tout établie ?
Philippe Ricard : Il est vrai que le Brexit n’est pas encore mené à son terme. Theresa May, la cheffe du gouvernement britannique, vient à peine d’enclencher la procédure de divorce. Les négociations doivent durer deux ans ; il s’agit à la fois de sortir de l’UE tout en parlant en parallèle du lien futur entre Londres et ses anciens partenaires.
Il n’est pas certain du tout que ces négociations s’achèvent sur une séparation à l’amiable tant les sujets conflictuels sont nombreux, à commencer par le sort des ressortissants européens au Royaume-Uni ou celui des Britanniques sur le continent.
Un « Frexit » susciterait sans doute des incertitudes encore plus fortes que le Brexit, dans la mesure où la France occupe une position plus centrale que le Royaume-Uni dans l’UE. Elle en est l’un des membres fondateurs et participe à l’ensemble de ses politiques, à commencer par l’euro, et l’espace Schengen, ce qui n’est pas le cas du Royaume-Uni.
Les conséquences d’un « Frexit » seront donc encore plus lourdes, en particulier en cas de crise monétaire. Politiquement, la sortie de la France signifierait une période de gel de la construction européenne, à en croire les dirigeants des pays voisins.
Sophie : Pourquoi y a-t-il autant de candidats eurosceptiques dans cette élection ? Est-ce la marque d’un opportunisme électoral ou d’un réel virement idéologique en Europe ?
La victoire des partisans du Brexit au Royaume-Uni et celle de Trump aux Etats-Unis a contribué à libérer la parole des candidats sur l’Union européenne. Les clivages sur l’Europe ne sont pas nouveaux, quand on se souvient du référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe en 2005 en France.
La mise en cause de l’UE est un axe fort des programmes du Front national, depuis toujours. Et la succession de crises qui se sont abattues sur l’UE ces dernières années - crise des dettes après le naufrage de la Grèce, migration et Brexit- ont montré les dysfonctionnements de la construction européenne, tout en faisant prendre conscience qu’il s’agissait d’une réalité incontournable dans nos vies quotidiennes.
Cependant, deux scrutins récents, la présidentielle en Autriche en décembre 2016 et les législatives de mars dernier aux Pays-Bas, n’ont pas tourné à l’avantage de l’extrême droite. Dans les deux cas, les candidats d’extrême droite n’ont pas bénéficié d’un effet Brexit ou Trump, car une partie de l’électorat a considéré que ces expérimentations anglaise ou américaines étaient trop hasardeuses. Reste à voir si ce phénomène se confirmera en France…
Alternis : Le plan A de Jean-Luc Mélenchon n’est-il pas illusoire ? Comment penser que les pays d’Europe du Nord, en particulier l’Allemagne, acceptent les revendications unilatérales de la France si cette dernière aborde les négociations de manière frontale et non en donnant des garanties ?
En effet, l’Allemagne et les pays du Nord en général ne voient pas d’un bon œil la perspective d’une telle renégociation. M. Mélenchon entend en effet réduire la discipline budgétaire mise en place au sein de la zone euro pour tirer les leçons de la crise grecque, à la demande expresse d’Angela Merkel. Toute remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale européenne serait également inacceptable par l’Allemagne, que le pays soit gouverné par la droite ou par la gauche, actuellement associées au pouvoir au sein de la grande coalition.
On a vu que la chancelière avait accepté de négocier pour tenter de retenir les Britanniques, à la demande de David Cameron en 2016, avant le référendum sur le Brexit, mais les concessions faites au final n’ont pas réussi à convaincre le Royaume-Uni de rester, en particulier celles concernant la libre circulation des travailleurs venus d’Europe centrale après l’élargissement. Les demandes françaises, en cas de victoire de M. Mélenchon, toucheraient à des sujets plus sensibles encore pour Berlin, car elles auront trait au mode de fonctionnement de la zone euro.
Yobon : Quels sont les problèmes principaux attribués à l’Europe par les pro- « Frexit » et sont-ils avérés ?
Il faut faire une distinction, parmi les principaux candidats, entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
La candidate du Front national souhaite la fin du projet européen pour, dit-elle, permettre à la France de retrouver sa souveraineté monétaire, territoriale ou économique. Elle entend pour ce faire se débarrasser de l’euro et de l’espace de libre circulation des citoyens européens Schengen, afin de pouvoir mettre en œuvre la préférence nationale, incompatible avec les valeurs européennes. Sa critique reprend en partie les reproches adressés à l’UE par les europhobes britanniques, qui ont beaucoup exploité les mouvements de populations intra-européens pour plaider le Brexit, tout en affirmant vouloir défendre la souveraineté du Parlement et du peuple britannique.
De son côté, Jean-Luc Mélenchon considère tout simplement que son programme n’est pas compatible avec les règles européennes existantes, en particulier sur le plan budgétaire. Peut-être n’a-t-il rien contre de nouveaux partages de souveraineté, à condition qu’ils soient compatibles avec son programme et tranchent avec les politiques « austéritaires » à l’ordre du jour dans une Europe dominée, selon lui, par l’Allemagne.
Les reproches de l’un comme de l’autre omettent de dire que la France n’est pas non plus pieds et poings liés dans l’UE actuelle. Si la monnaie est fédéralisée, le gouvernement garde de grandes marges de manœuvre en matière de politique économique ou migratoire par exemple.
Rémy : Cameron a bien réussi à négocier avant le référendum sur le Brexit et je trouve que les états européens ont accepté plutôt facilement. (…) Si on continue à avoir d’aussi grandes disparités fiscales l’Europe ne va-t-elle pas s’auto-détruire d’elle-même, par le ras-le-bol des peuples ?
M. Mélenchon n’est pas le seul à critiquer les disparités fiscales au sein de l’Europe. Certains candidats partisans du maintien, comme MM. Hamon, Fillon ou Macron, en parlent aussi. Sortir de l’UE ne mettra pas un terme à cette forme de concurrence, bien au contraire…
La renégociation faite pour aider Cameron à éviter le Brexit a porté sur des sujets moins importants que les questions posées par M. Mélenchon, et elle n’a pas suffi à convaincre les partisans du Brexit.
Tom : Peut-on imaginer une défense/armée européenne indépendante de l’OTAN ou s’inscrira-t-elle de toute façon au sein de cette organisation ?
Si une défense européenne émerge un jour, ce devrait être dans le cadre de l’OTAN. On est cependant loin de cette perspective car de nombreux pays privilégient l’Alliance atlantique pour les protéger : c’est le cas du Royaume-Uni, de l’Allemagne, même si celle-ci semble un peu plus ouverte à l’idée d’une défense européenne, et des capitales d’Europe centrale, qui craignent la Russie.
Le sujet d’une défense européenne est cependant l’un de ceux envisagés pour relancer l’Europe après le Brexit, mais il n’est pas question à ce stade d’aller vers une armée européenne. Il s’agit juste de mieux coordonner les efforts de défense entre capitales volontaires et de mutualiser les moyens et les équipements.
Isa : Parmi les candidats à l’élection présidentielle, y en a-t-il qui souhaitent rester dans l’UE mais qui proposent de renforcer ses frontières ?
Tous les candidats, qu’ils soient en faveur du maintien dans l’Union européenne ou pas, sont favorables à un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’UE. C’est l’une des leçons tirées de la crise migratoire, depuis l’arrivée en 2015 de plus d’un million de demandeurs d’asile en Europe.
Depuis, l’agence de surveillances des frontières Frontex a été renforcée par la mise à disposition de gardes issus des différents pays d’Europe. En raison des menaces terroristes, les contrôles d’identité sont revenus dans les aéroports au départ de certaines destinations, comme on peut le constater en prenant l’avion. Personne ne conteste ce genre de mesures, qui permettent au passage de sauvegarder pour l’essentiel la libre circulation des Européens entre les différents Etats membres.
Pseudonyme : On parle souvent d’approfondissement ou d’élargissement pour l’Europe, la politique de Macron vise-t-elle plutôt l’un ou l’autre ou les deux combinés ?
L’élargissement de l’Europe a souvent prévalu sur son approfondissement, du moins au début des années 2000, quand les quinze sont devenus 24, puis 27, avec l’adhésion des pays d’Europe centrale issus de l’ex-bloc de l’Est. Cette alternative se présente différemment désormais : l’élargissement est réalisé pour l’essentiel, les pays candidats risquent de le rester longtemps, à commencer par la Turquie, dont l’adhésion n’est plus à l’ordre du jour.
En parallèle, la zone euro a continué à s’approfondir, même si cela a eu lieu dans le chaos, lors de la crise des dettes souveraines. Allemagne et France ont su faire taire leurs désaccords pour mettre en place un fonds permanent de secours des pays en faillite (comme la Grèce), ou une union bancaire, qui supervise de manière centralisée le secteur.
Emmanuel Macron s’inscrit dans cette dynamique, en cherchant à doter la zone euro d’un budget propre et d’un parlement. Il reste à convaincre les pays du nord de la zone euro, dont l’Allemagne. L’objectif serait double : parachever la solidarité entre les membres de l’euro, et rendre plus démocratique la prise de décision dans cet ensemble.
Thomas : Une politique énergétique européenne est-elle envisageable ?
C’est une perspective de long terme, dans la mesure où les capitales européennes gardent la mainmise sur leurs approvisionnements et leur bouquet énergétique. La France reste ainsi fidèle au nucléaire alors que l’Allemagne est en train d’en sortir. D’autre part, Berlin, Paris ou Rome ne sont pas prêts à sous traiter leurs relations avec leurs fournisseurs de gaz, dont la Russie.
Ceci dit, les Européens ont de fait commencé à développer une politique commune dans ce domaine, en cherchant à développer les énergies renouvelables. Ils sont d’ailleurs à la pointe des efforts de lutte contre le réchauffement climatique, et attendent de Donald Trump qu’il respecte l’accord de Paris, signé par Barack Obama.
Jérémie : En quoi l’objectif d’un parlement ou d’un budget de la zone euro (Macron/Hamon) sans rapport de force concret est-il plus réaliste que les changements réclamés par Mélenchon par la menace d’une sortie ? L’Allemagne n’acceptera jamais de pouvoir être mise en minorité sur la politique monétaire !
Au sein de la Banque centrale européenne, seule instance véritablement fédérale, l’Allemagne, ou plutôt son représentant, le président de la Bundesbank, sont sans arrêt mis en minorité. Pour cette raison, Berlin n’est d’ailleurs pas parvenu à placer un Allemand à la tête de la BCE, lors du départ de Jean-Claude Trichet, qui a été remplacé par l’Italien Mario Draghi, au plus fort de la crise des dettes souveraines. La BCE a d’ailleurs agi de manière pragmatique pendant ce séisme, au point d’être très critiquée par de nombreux Allemands.
A : Certains candidats prônent un abandon de l’euro et un retour à une monnaie nationale. L’hypothèse d’une forte dévaluation de cette nouvelle monnaie est-elle réaliste ? Quelles en seraient les conséquences pour les entreprises, les banques françaises et le pouvoir d’achat des citoyens français ?
L’abandon de l’euro, prôné en particulier par Marine Le Pen, créerait de très grandes incertitudes, voire même un cataclysme non seulement pour l’union monétaire, mais aussi pour la France.
L’hypothèse d’une forte dévaluation de la nouvelle devise française est non seulement réaliste, mais aussi très probable : elle pourrait avoir des conséquences négatives qui réduiraient très vite à néant ses avantages en matière d’exportations. Cette dévaluation peut aussi doper l’inflation, en gonflant le prix des importations (comme l’essence). La perspective d’une sortie de la zone euro peut de surcroît fragiliser les banques françaises et entraîner une fuite des capitaux vers les pays voisins qui garderont l’euro.
C’est d’ailleurs pour ces différentes raisons que les Etats de la zone euro, la France de François Hollande en particulier, ont tout fait pour garder la Grèce dans la monnaie unique. Paris craignait qu’un « Grexit » ne mine la zone euro, et la France par ricochet.
Lefish : Est-il correct de dire que l’UE, via la BCE, sont très pro-austérité, alors qu’au niveau mondial, via le FMI (qui rédige parfois des notes allant à l’encontre de la BCE), on met en doute (de plus en plus) l’utilité de l’austérité ?
Le FMI se montre en effet plus favorable à des politiques de relance que les institutions européennes de l’ex-troïka actives en Grèce en échange du plan d’aide, à savoir la commission et la BCE.
Mais le débat sur ce sujet est très fort au sein même de l’Union européenne et de la zone euro. Le FMI dispose de plusieurs alliés en Europe, dont la France et l’Italie. La commission européenne elle-même a évolué au fil des dernières années : Paris, où la rigueur n’a jamais connu le niveau des plans de « redressement » mis en œuvre en Grèce, a obtenu des délais pour tenter de respecter le fameux seuil de déficit public (les 3 % du PIB). Aux yeux des Allemands, les Français seraient d’autant plus crédibles sur le sujet s’ils respectaient les engagements collectifs…
Thomas : L’aspiration à une intégration totale, des « Etats-Unis d’Europe », existe-t-elle ?
Non, cette question n’est pas à l’ordre du jour. Le fédéralisme est moins que jamais de mise. La priorité est plutôt de relancer l’UE sur la base des traités existants. Les dirigeants européens gardent un cuisant souvenir de l’échec de la constitution européenne en 2005, en raison du double non des Français et des Néerlandais.
Ce fut sur le plan institutionnel la première d’une série de crises dans laquelle l’UE est toujours engluée : dettes souveraines, migrations, Brexit. Pour les voisins européens de la France, le résultat de l’élection présidentielle peut porter le coup de grâce au projet communautaire, ou au contraire ouvrir une période de soulagement.