TV : « Brésil, le grand bond en arrière »
TV : « Brésil, le grand bond en arrière »
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Notre choix du soir. Avec pour guide Gregorio Duvivier, un comique engagé à gauche, état des lieux d’un pays en proie à une récession historique (sur Arte à 22 h 40).
Manifestation à Sao Paulo en novembre 2016 | ARTE
Ce 17 avril 2016, le Brésil, sonné, découvre le visage des politiciens qui le représentent à la chambre des députés. Des conservateurs, de grands propriétaires terriens, des évangélistes fous de Dieu, des hommes attachés aux valeurs traditionnelles, parfois nostalgiques de la dictature militaire (1964-1985). Des personnes corrompues, pour la plupart.
Au cours d’un vote qui se prolongera pendant une partie de la nuit, ces parlementaires vont sceller le sort de Dilma Rousseff, présidente de gauche réélue en 2014. L’impeachment(destitution) de la dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva est enclenché. Voici le moment historique qu’ont choisi Frédérique Zingaro et Mathilde Bonnassieux pour démarrer leur documentaire, Brésil : le grand bond en arrière.
Un moment-clé où le Brésil, pris de vertige, voit son avenir basculer. Comme la fin d’une parenthèse enchantée ouverte avec Lula en 2003, président chéri d’un pays prospère et conquérant. A l’époque, la politique sociale du Parti des travailleurs (PT, gauche) permet à des dizaines de millions de Brésiliens de sortir de la misère tandis que le pays se projette sur la scène diplomatique internationale en devenant un acteur-clé des BRICS (coalition Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
L’indignation envers la corruption d’un PT usé par le pouvoir – corruption qui gangrène en réalité la droite comme la gauche – servira de toile de fond à l’impeachment. De là naîtra un affrontement parfois manichéen entre les « pro » et les « anti », opposant une gauche progressiste et une droite jalouse de ses privilèges.
Réveil de la jeunesse
Les réalisatrices ont décidé de décrire cette déchirure en axant leur documentaire autour de Gregorio Duvivier, un jeune comique engagé à gauche, qui mènera la plupart des entretiens, y compris celui de la présidente déchue, Dilma Rousseff. Le téléspectateur est ainsi amené à suivre la lecture très personnelle de l’humoriste, fil rouge bienvenu pour comprendre la complexité de ce pays. Un regard qui permet surtout de décrire le sentiment ressenti par une partie des Brésiliens : depuis cet impeachment, les militants et sympathisants de gauche dénoncent un complot ourdi par une justice biaisée et de grands médias viscéralement anti-PT, criant à une destitution aux allures de « coup d’Etat parlementaire ».
Le portrait de ce Brésil emporté par une récession historique nous plonge dans l’abîme, loin du géant d’Amérique latine qui accueillit la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux olympiques d’été en 2016. Echappant aux clichés, il offre néanmoins une note d’optimisme quand il montre une jeunesse dont la conscience politique semble avoir été réveillée par les événements.
Qu’en sera-t-il de l’avenir ? Le documentaire met en perspective le triste sort de la gauche brésilienne avec celui d’une grande partie des pays d’Amérique latine. S’il ne nie pas les erreurs du Parti des travailleurs, il effraie quand il décrit la politique suivie par le nouveau chef d’Etat, Michel Temer. Politique faite de rigueur et de réformes à même de séduire les marchés financiers, mais qui fait redouter des coupes dans les dépenses destinées à la santé, à l’éducation, à l’aide aux plus démunis.
Brésil : le grand bond en arrière, de Frédérique Zingaro et Mathilde Bonnassieux (Fr., 2016, 56 min).