Sur les coups de 11 heures, dimanche 17 avril, un Américain de 37 ans dénommé Steve Stephens a commencé à poster sur sa page Facebook une macabre série de vidéos. Dans la première d’entre elles, il dévoile son envie de tuer quelqu’un. Dans la seconde, on l’y voit mettre ses menaces à exécution, assassinant face caméra un homme de 74 ans. Dans la troisième, il reconnaît, en direct cette fois-ci, le meurtre, ainsi que treize autres (pour l’heure non confirmés par la police locale). La police a annoncé, mardi 18 avril, que Steve Stephens s’est ensuite donné la mort.

Deux heures avant les premiers signalements

Ce n’est que deux heures après la première publication que l’une des vidéos a été signalée par un internaute, grâce au bouton prévu à cet effet situé dans une liste déroulante au-dessus de chaque post. Facebook est ensuite intervenu rapidement : il aura fallu vingt-trois minutes pour que le compte du suspect soit désactivé.

S’il est difficile d’obtenir du réseau un chiffre précis, la plupart des signalements seraient traités en moins de soixante-douze heures. Certains sont parmi eux prioritaires, à l’image des contenus s’apparentant à du harcèlement, des menaces physiques ou des faits de violence. Un délai de quelques heures est toutefois généralement nécessaire avant que la centaine de modérateurs de Facebook ne se saisisse de ces cas.

Le lendemain des faits, les responsables de Facebook ont d’ailleurs souligné dans un communiqué la relative rapidité de leur action, tout en assurant vouloir « faire mieux ».

« C’est un crime horrible, nous n’autorisons pas ce type de contenus. Nous travaillons dur pour garder un environnement sécurisé, et restons en contact avec les autorités et services de secours lorsque des menaces directes à l’intégrité physique surviennent. »

Cette déclaration a été assortie de la promesse de quelques améliorations. Elles concernent principalement le système de signalement de vidéos, photographies ou autres, violant les règles d’utilisation du réseau social. S’il n’est pas question d’en modifier le fonctionnement intrinsèque (par exemple, le fait qu’un contenu est vérifié par les équipes de modération seulement s’il est signalé par des utilisateurs), il s’agit de le rendre « aussi rapide et facile que possible », sans toutefois préciser comment. Un changement d’autant plus nécessaire que l’assassinat de dimanche n’est pas le premier crime à être filmé et publié sur Facebook.

Une cinquantaine de vidéos violentes diffusées en direct

Depuis son ouverture à tous les utilisateurs en février 2016, l’outil « Facebook Live », qui permet de diffuser en direct des vidéos, a été à plusieurs reprises le théâtre de ce phénomène sordide. Il y a tout juste deux semaines, un viol collectif présumé d’une mineure américaine était diffusé. Quelques mois plus tôt, autre victime, autre scène : celle d’un homme séquestré, insulté et frappé par quatre agresseurs, en banlieue de Chicago. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, l’a reconnu lors du lancement de la conférence Facebook F8, le 18 avril : le réseau social « doit faire mieux ».

Au total, une cinquantaine d’événements violents, incluant plusieurs meurtres et suicides, auraient été diffusés dans le « Facebook Live », selon les comptes du Wall Street Journal. Certains ont particulièrement marqué les esprits, comme la mort en direct, dans l’Arkansas, d’une mère de famille. Agée de 25 ans, et atteinte d’un cancer, elle avait pris l’habitude de filmer son quotidien pour ses amis. Un jour, en plein direct sur Facebook, Keiana Herndon fait un malaise fatal. Lorsque l’un de ses amis est arrivé pour tenter de la sauver, trente minutes plus tard, elle était déjà morte. Parmi les « spectateurs » de son « live » (pourtant de plus en plus nombreux), aucun n’aurait, selon la famille de la jeune femme, appelé les secours.

Autre plate-forme, même constat : sur Periscope, une application pour smartphone de partage de vidéo, une Française de 19 ans s’est donné la mort devant un millier d’internautes après avoir prévenu que quelque chose de « très choquant » allait se passer.

Le voyeurisme des internautes

Si les politiques de modération de Facebook ou d’autres réseaux sociaux font régulièrement débat, le comportement voyeuriste des internautes interroge. Selon le New York Times, plusieurs « millions » d’internautes auraient ainsi visionné l’une des trois vidéos de Steve Stephens. Certains ont aussi téléchargé les vidéos (dont les originaux ne sont plus disponibles), avant d’en diffuser des extraits sur Facebook et Twitter… Une pratique autorisée par Facebook, à condition que cela serve à des fins d’information, ou à dénoncer des comportements dangereux.

Est-ce cette postérité qui incite des criminels à partager ces images sur les réseaux sociaux ? Cette recherche de célébrité ne date pas, en tout cas, de l’avènement de ces derniers. On l’appelle ainsi fréquemment « syndrome d’Erostrate », en référence à cet homme qui avait incendié le temple d’Artémis à Ephèse dans le seul but d’être connu, durant… l’antiquité grecque.