Des projecteurs éclairent les antennes du Rockefeller Center, à New York, en 2015. | SPENCER PLATT / AFP

Moins médiatisée que la pollution de l’air ou le réchauffement climatique, la pollution lumineuse fait pourtant partie du quotidien. Les lumières artificielles s’accumulent dans les environnements professionnel et personnel : bâtiments intérieur et extérieur, panneaux publicitaires, commerces, bureaux, lampadaires, installations sportives… On parle de pollution lumineuse lorsque les éclairages artificiels sont omniprésents au point d’altérer les niveaux d’éclairage naturel de la nuit, et ont des conséquences sur l’environnement nocturne.

La consommation électrique liée à l’éclairage public reste assez faible en France (5,6 térawattheures, soit 1,2 % de la consommation totale d’électricité du pays en 2015, selon les chiffres de l’Association française de l’éclairage). L’éclairage des villes, indispensable notamment pour assurer la sécurité, continue pourtant de grignoter l’obscurité des nuits.

L’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN) estime que « le nombre de points lumineux a augmenté de 89 % en vingt-cinq ans » en France. Selon une étude publiée en juin 2016 dans la revue américaine Science Advances, près de 83 % de la population mondiale et près de 99 % des populations européenne et américaine vivent sous un ciel nocturne plus ou moins altéré par la pollution lumineuse. Un label de « réserve internationale de ciel étoilé » a même été décerné fin 2013 au pic du Midi pour préserver la qualité du ciel dans cette région.

Inquiètes des conséquences de ce « crépuscule permanent », l’ANPCEN et deux autres associations – France nature environnement (FNE) et la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, section Isère – ont saisi le Conseil d’Etat, mi-mars, pour contraindre le ministère de l’environnement à publier les arrêtés prévus par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010. « Cette loi réglemente notamment les installations lumineuses dans certains espaces naturels, comme les sites Natura 2000 ou les parcs nationaux. Sauf qu’aujourd’hui, aucun arrêté n’existe. Par exemple, des stations de ski vides la nuit continuent d’être éclairées », dénonce Anne Roques, juriste en environnement de la FNE.

C’est en 2007, avec le Grenelle de l’environnement, que les impacts des émissions de lumière artificielle sur la santé et sur la biodiversité commencent à être pris en compte (loi Grenelle I). En 2010, la loi Grenelle II intègre un chapitre sur « la prévention des nuisances lumineuses ». Trois ans plus tard, un arrêté concernant l’arrêt de l’éclairage des bâtiments non résidentiels entre 1 heure et 7 heures du matin est signé. Mais aucun arrêté d’application n’a été paraphé sur le volet des espaces naturels. En 2016, la loi sur la biodiversité avait pourtant inscrit les paysages nocturnes dans « le patrimoine commun de la nation ». Contacté, le cabinet de la ministre de l’environnement n’a pas répondu à nos sollicitations.

La qualité de la nuit en France, en 2015, apparaît médiocre dans la plupart des régions de France. | Anpcen

Dans un courrier adressé à Ségolène Royal, en novembre 2016, les associations demandaient déjà l’application stricte de la loi, sans réponse. « Tous les soirs, 36 000 communes françaises sont concernées. On se demande pourquoi cette pollution lumineuse n’est pas prise au sérieux. Si on avait des robinets qui coulent à la place des lampadaires qui restent allumés, on s’inquiéterait davantage », explique la présidente de l’ANPCEN, Anne-Marie Ducroux.

Pour elle, les solutions pour diminuer cette pollution sont simples, comme une orientation des lampadaires « Ulor zéro », c’est-à-dire qui ne dépasse pas l’horizontale. « Heureusement, nous avons recensé plus de 12 000 communes qui diminuent d’elles-mêmes leur consommation la nuit, détaille-t-elle. Il nous faut maintenant des mesures globales au niveau national car les effets de la lumière artificielle sur la biodiversité et sur la santé sont avérés. »

Effets sur la biodiversité et la santé

Dans certaines régions, notamment autour des grandes métropoles, la nuit noire n’existe plus vraiment. Des halos lumineux créés par les lumières des villes sont visibles à plusieurs kilomètres, entraînant des conséquences sur l’écosystème. Ainsi, des prédateurs qui utilisent la lumière pour chasser, ou à l’inverse des proies qui utilisent l’obscurité comme protection, voient leur mode de vie perturbé.

Les oiseaux qui migrent ou chassent la nuit naviguent au clair de Lune et à la lumière des étoiles. Les lumières artificielles peuvent les faire migrer trop tôt ou trop tard et manquer des conditions idéales pour la nidification ou la recherche de nourriture. Dans un article publié dans le New York Times en avril 2016, des scientifiques ont alerté sur les conséquences sur d’autres populations comme les tortues de mer, les coraux ou les planctons.

Mais la santé des êtres humains aussi est détériorée par une exposition inappropriée aux lumières artificielles. Pour Patrice Bourgin, chercheur au CNRS à l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives, et responsable du Centre d’études des troubles du sommeil au CHU de Strasbourg, le corps humain est certes « programmé pour être exposé à la lumière naturelle » et la lumière du jour est « indispensable » pour caler les rythmes biologiques sur le cycle lumière-obscurité. Mais il alerte sur les dérèglements de l’horloge interne que peut entraîner une exposition à la lumière à un moment inopportun : « Notre horloge biologique régit notre rythme circadien [ou biologique], qui dure environ vingt-quatre heures. Ce rythme va être perturbé par exemple lors d’une exposition intense et tardive le soir. »

Autre conséquence, la lumière va inhiber la synthèse de la mélatonine, cette hormone sécrétée uniquement la nuit. « La mélatonine agit aussi sur les rythmes circadiens. Finalement, si la lumière a des effets bénéfiques importants pour notre santé, elle peut aussi, en cas de mauvaise utilisation, dérégler nos rythmes circadiens et favoriser la survenue de troubles du sommeil, de l’humeur, voire du diabète. »