Loin de la politique, le Printemps de Bourges retombe en enfance
Loin de la politique, le Printemps de Bourges retombe en enfance
Par Stéphane Davet (Bourges, Cher, envoyé spécial)
La 41e édition, qui se referme ce dimanche, a battu le record d’affluence depuis la création du festival, en 1977.
Petit Biscuit, sur la scène du W, samedi 22 avril. | Antoine Monégier du Sorbier
Alors que le Printemps de Bourges avait comme quasi tradition de recevoir, tous les sept ou cinq ans, un ou plusieurs candidats à l’élection présidentielle, aucun n’a cette fois montré son attachement à cette institution de la culture populaire. Même si la ministre de la culture, Audrey Azoulay, est venue assister à quelques spectacles, jeudi 20 avril.
Election ? Quelle élection ? Créé en 1977, pour mettre en avant une génération de chanteurs – Bernard Lavilliers, François Béranger, Renaud, Jacques Higelin… – qui n’hésitaient pas à l’ouvrir face aux enjeux de société, le Printemps a déroulé sa 41e édition, du 18 au 23 avril, sans que la politique ou la présidentielle s’invitent jamais vraiment sur scène ou dans le public. A peine pouvait-on relever que, le premier soir, le vétéran Renaud avait menacé de montrer à la foule son t-shirt d’Emmanuel Macron. Alors que, le 20 avril, un attentat frappait les Champs-Elysées, la « génération Bataclan » revendiquait avant tout son droit à la communion festive lors d’un rendez-vous revendiquant le brassage des cultures et des générations.
80 000 billets pour 200 concerts
Avec près de 80 000 places délivrées pour plus de 200 concerts organisés – sous un soleil radieux – dans les salles et sur les scènes extérieures, le Printemps de Bourges peut en tout cas se vanter d’avoir connu sa plus grande affluence depuis sa création. Quatre ans après le rachat du festival par la société de production audiovisuelle Morgane (déjà propriétaire des Francofolies de La Rochelle) et un an après le départ définitif de son fondateur, Daniel Colling, l’événement, à présent dirigé par Boris Vedel, évolue en douceur – avec, par exemple, l’ouverture d’un nouveau lieu, la Halle au blé, consacré aux soirées hip-hop – sans bouleverser de bonnes habitudes.
Parmi celles-ci, la soirée Rock’n’Beat continue de transformer le samedi en une immense kermesse adolescente. Même si les mélanges rock et électro d’origine, répartis entre la grande tente du W (8 000 personnes) et le Palais d’Auron (2 400 places) penchent désormais largement en faveur des beats synthétiques.
La veille, au même endroit, la soirée Happy Friday (à dominante également électro) avait été perturbée par un court circuit obligeant, à 2 heures du matin, à raccourcir le concert de Deluxe et à annuler celui de Feder. La panne électrique réparée, le public a pu affluer pour le climax festif du festival.
A quelques semaines des épreuves du bac et des examens de fac, beaucoup ne semblent pas encore résolus à sortir de l’enfance, si l’on en croit les centaines de déguisements et les milliers de ballons gonflés à l’hélium à l’effigie des héros de leur prime jeunesse – Pikachu, Spider-Man, Grosminet, Calimero, Hello Kitty, Mon Petit Poney…
Sur la scène du W, Medhi Benjelloun fait aussi ses 17 ans, ce qui n’empêche pas ce multi-instrumentiste rouennais de triompher en nouvelle vedette de la scène électro française sous le nom de Petit Biscuit. Aussi mignons que son nom ou que des voix de dessins animés, ses sons dansent rêveusement, entrelaçant accords aériens de guitare, voix féminines et notes tirées de pads lumineux (ces lignées de gros boutons contrôlant les machines). Sur l’écran de fond de scène, des formes géométriques aux couleurs fluos s’envolent, tels les songes d’un élève de terminale S.
Ritournelles rustiquement dansantes
Dans la foulée, Jacques Auberger, dit Jacques, bricole son électro ludique sur la scène du Palais d’Auron, sans s’éloigner, lui non plus, trop loin du monde de l’enfance. Ce compositeur insolite à la tonsure excentrique s’entoure de machines et d’instruments de musique, autant que d’objets du quotidien – raquette de badminton, feuilles, pièces de monnaie, roue de vélo… – dont l’échantillonnage finit par produire des ritournelles rustiquement dansantes.
Plus de quinze ans après les expériences similaires de l’Anglais Matthew Herbert, le concept n’est pas vraiment nouveau, mais on peut se laisser prendre par cette fraîcheur dadaïste. Même si la fantaisie de ces improvisations ne garantit pas la qualité de l’inspiration mélodique ou rythmique.
Piochant lui aussi dans les sons de son environnement, Romain Delahaye, alias Molécule, donne un souffle plus onirique à sa création. Sans doute parce que nombre de ses samples proviennent d’une expérience vécue cinq semaines à bord d’un chalutier pêchant dans l’Atlantique nord, dont il a tiré un album, 60° Nord 43’. En ciré jaune et bonnet de marin, Molécule remet en rythme ces bruits de moteurs et d’océan, tout en les submergeant de vagues synthétiques.
L’orgie rythmique de Vitalic
Si les concerts ont commencé à 20h30, la foule se presse encore plus nombreuse aux alentours de minuit. Comme si le vécu collectif comptait plus que les performances des artistes. Sauf quand ces derniers célèbrent franchement le dérèglement des sens. A l’instar de Vitalic, programmé au W à 1 heure et demi du matin, dont les gros sons et les spectaculaires stimuli visuels caressent vigoureusement les danseurs dans le sens de la fête.
Un peu sonné par cette orgie rythmique, on se remémore avec nostalgie, comment, en fin d’après-midi, on s’était laissé bercer, dans la bonbonnière du Théâtre Jacques-Cœur, par le tout premier concert de Lady Sir, le duo composé du chanteur-guitariste Gaëtan Roussel et de la chanteuse et comédienne Rachida Brakni.
Si, en retrouvant en 2016 son groupe, Louise Attaque, Roussel avait replongé dans l’effervescence « rock’n’beat », le temps d’un album (Anomalie) et d’une longue tournée, le Sir à la voix rauque s’apaise aujourd’hui avec une brune Lady, amoureuse comme lui des clair-obscurs de l’americana. Sorti en avril, leur premier album, Accidently Yours, entrelace français, anglais et arabe avec une élégance évocatrice d’intimisme comme de grands espaces.
Pour ce premier live, le duo, accompagné par le guitariste Philippe Almosnino, le batteur Nicolas Musset et le claviériste Jean-Max Méry, reproduit avec application la miroitante délicatesse de ses chansons. Reste à un peu se détendre et à plus dialoguer entre soi et avec le public, pour transcender le projet et affirmer la présence, encore trop timide, de Rachida Brakni. « Comme on dit pour les corridas, il faut d’abord tuer le nain qui est en soi », reconnaissait en souriant l’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française, après le spectacle.
« Je n’aime pas la chanson engagée »
Comme dans l’immense majorité des concerts de cette édition se terminant le jour du premier tour de l’élection présidentielle, aucune référence à la politique lors du concert de Lady Sir. En tant que comédienne et réalisatrice de film (son premier long métrage, De sas en sas, sorti le 22 février, témoigne du chemin de croix des visites au parloir dans une prison française), l’épouse d’Eric Cantona (présent dans la salle) s’est pourtant souvent engagée politiquement. « Autant j’adore le cinéma social, autant je n’aime pas la chanson engagée », confiait récemment Rachida Brakni. La musique est pour moi comme une retraite spirituelle, elle me fait voyager, m’emmène vers un ailleurs, loin de mon quotidien ».