A Lille, les partisans de Mélenchon entre barrage au FN et abstention
A Lille, les partisans de Mélenchon entre barrage au FN et abstention
Par Lucie Soullier (Envoyée spéciale à Lille)
Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête à Lille lors du premier tour de la présidentielle. Ses partisans, eux, réagissaient dimanche soir à l’absence de consigne de leur candidat.
Le bar La Boulangerie, dans le quartier de Wazemmes, à Lille, dimanche 23 avril. | Olivier Touron pour "Le Monde"
« Allez, s’il te plaît, appelle à voter Macron. » Debout, bière à la main, un homme sermonne la télévision sans avoir pris le temps d’ôter son manteau. Il est 22 heures et quelques miettes à La Boulangerie, dimanche 23 avril. Les fumeurs sont rentrés promptement dans le bar lillois, ajoutant leur dépit aux grimaces se tenant déjà les coudes au comptoir. La pression ambrée ne coule plus, suspendue à la voix du favori de ses clients. « Le voilà ! » Jean-Luc Mélenchon prend la parole.
Arrivé en tête du premier tour de la présidentielle à Lille, avec près de 30 % des suffrages, il termine quatrième sur le plan national. Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’affronteront au second tour pour prendre la tête du pays. Alors, le leader de La France insoumise appellera-t-il à faire barrage au Front national ? Son discours s’achève, sans consigne de vote.
La colère réveille les accents du Nord alors que le visage de Jean-Luc Mélenchon s’efface de l’écran télévisé. « C’est grave, il fallait qu’il le fasse ! », gronde l’homme au manteau. « Pas moyen », peste Marie, qui s’emporte à grands coups de « la peste ou le choléra ». « Pas moyen » qu’elle vote pour Emmanuel Macron, « pas moyen » qu’elle culpabilise. A 26 ans, l’assistante sociale en a déjà bien assez de « cette histoire de faire barrage ». Il faut la suivre, Marie. Elle parle vite et ses yeux clairs étincellent de vivacité sous ses lourdes lunettes.
Pas « ce jeu-là »
La jeune Lilloise a eu le temps de répéter ce débat dans les coulisses familiales, affûtant ses arguments depuis le traumatisme paternel de 2002. Elle raconte ce père, qui ne se remet pas d’avoir voté pour « un petit » au premier tour, il y a quinze ans, et se répète depuis que « s’il avait voté Jospin, peut-être… » Peut-être que sa voix aurait empêché un second tour Le Pen (père)-Chirac. Depuis, il vote « utile », souvent, et répète à sa fille qu’elle ne peut pas comprendre. Qu’elle n’a pas vécu le Front national (FN) au second tour. « Eh ben si, ça y est », lâche Marie comme une bravade. « N’empêche », elle n’entrera pas dans « ce jeu-là ». Rien, même la présence du parti d’extrême droite, ne la poussera à voter « pour quelqu’un qui ne lui correspond pas ».
« Sauf qu’il y a quelqu’un qui ne te correspond pas, et quelqu’un qui ne te correspond vraiment vraiment pas. » Au bout de la longue tablée – quatre mélenchonistes, quatre abstentionnistes, et un saucisson offert par le patron –, une petite voix fluette ose l’interrompre, se faisant plus assurée au deuxième « vraiment ». Anna Duvauchelle est la future colocataire de Marie. A 20 ans, l’étudiante en paysage vit sa première présidentielle « d’adulte ». Elle votera Emmanuel Macron dans quinze jours, sans ciller. Et sans hésiter : « C’est le petit truc que je peux faire, pour être utile. Pour éviter le pire. »
Déception chez des supporters lillois de Jean-Luc Mélenchon, à l'annonce des résultats du premier tour de la présidentielle, dimanche 23 avril. | Olivier Touron, pour le "Monde"
« Je vais en faire de l’urticaire »
« Devoir citoyen, vote contestataire… Appelez ça comme vous voulez », résume Fethi Guennadi, le gérant du bar de 39 ans. Après avoir soutenu Jean-Luc Mélenchon, lui aussi ira voter Emmanuel Macron. Il écoute calmement ceux qui hésitent. Ceux qui lui expliquent que, même si elle passe, « après tout », Marine Le Pen ne pourra pas faire tout ce qu’elle annonce – « Regarde Trump » ; qu’il reste les législatives derrière. Fethi Guennadi les laisse aller au bout de leur pensée en souriant. Au premier silence, il assène que « la logique n’est pas là ». D’après lui, une victoire du FN lâchera une violence « qu’on n’imagine même pas chez les gens ».
« Tous ceux qui votent Le Pen et qui ne le disent pas encore vont sortir et dire : “on est chez nous, maintenant on a le droit, on va casser du bougnoule”. »
Amandine Locquet acquiesce. Elle n’a besoin d’aucun appel pour savoir qu’elle ne s’abstiendra pas, dans deux semaines. « C’est horrible, je vais voter Macron. Je vais en faire de l’urticaire », soupire l’étudiante en sociologie à son amie. Elles s’étaient donné rendez-vous à La Boulangerie, pour « célébrer la victoire attendue », comme l’avait écrit le bar sur son événement Facebook. « Ah, ben regarde qui m’appelle… » Les joues rosies par la deuxième tournée, levée aux « cinq années de merde qui nous attendent », l’amie d’Amandine Locquet brandit son téléphone, avant de le ranger, sans répondre, dans sa poche. C’était sa sœur, « elle veut sûrement jubiler, elle a voté Macron ». Elle aussi le fera au second tour, parce que « oh là là Le Pen ». Mais dimanche soir, elle n’avait le courage d’entendre personne crier victoire.
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