Après le 23 avril, une nouvelle campagne commence pour Le Pen et Macron
Après le 23 avril, une nouvelle campagne commence pour Le Pen et Macron
Par Gérard Courtois
Après les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, quelles leçons tirer du premier tour ? Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde » a répondu à vos questions.
Durant la douzaine de jours à venir, notamment lors du débat télévisé du 3 mai, c’est un affrontement sans merci entre les deux candidats qui va s’engager. | GUILLAUME SOUVANT, ÉRIC FEFERBERG / AFP
Au lendemain du premier tour, qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont remporté, quels enseignements tirer ? Le vote blanc et l’abstention risquent-ils d’être élevés ? Quelles conséquences pour celle ou celui qui sera président(e), et pour leurs soutiens ? Gérard Courtois, éditorialiste au Monde, a répondu, dans un tchat organisé lundi 24 avril, à vos questions.
– SebR : Maintenant que le PS est dans un position de faiblesse extrême, sa survie passe-t-elle obligatoirement par une alliance avec Emmanuel Macron ? Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon pourrait-il continuer à grappiller des voix aux législatives si une telle alliance ouverte et officielle naissait ?
C’est évidemment l’un des résultats majeurs de la soirée de dimanche. Le Parti socialiste (PS) se trouve pratiquement laminé : avec 6,3 % des suffrages exprimés (et moins de 5 % des inscrits), il enregistre son plus mauvais résultat depuis un demi-siècle.
Ce résultat est d’autant plus calamiteux que Benoît Hamon avait obtenu le ralliement du candidat écologiste Yannick Jadot. Par comparaison, François Hollande et Eva Joly, en 2012, avaient rassemblé 31 % des suffrages exprimés.
Tout y a contribué : le quinquennat chaotique de François Hollande, les fractures qui sont apparues entre socialistes de gouvernement et frondeurs, enfin la campagne terriblement ratée de Benoît Hamon. C’est un échec individuel pour lui qui espérait s’imposer à la tête du PS à l’avenir. Et c’est un échec collectif pour l’ensemble des socialistes.
Une alliance avec Emmanuel Macron paraît à ce stade difficilement réalisable. L’ancien ministre de l’économie a en effet imposé à tous ceux qui postulent pour être ses candidats aux législatives de se placer sous la bannière d’En marche ! Pour les quelque 230 députés socialistes sortants, un tel choix relèverait de l’hara-kiri.
Le risque, dès lors, pour les socialistes est de se retrouver à la fin du mois de juin à l’étiage parlementaire qu’ils avaient connu en 1993 : à peine plus de cinquante députés. C’est sur la base de ces résultats aux législatives qu’un accord de gouvernement pourrait éventuellement être passé avec les forces soutenant le président de la République, Emmanuel Macron par hypothèse.
– Emilie : Emmanuel Macron était plein d’euphorie hier soir. Il ne semble pas avoir pris la mesure de la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Les reports de voix en sa faveur sont-ils si certains qu’aucune action de conquête de l’électorat de ses adversaires ne s’impose ?
L’euphorie du candidat d’En marche ! était effectivement manifeste. Et assez logique si l’on prend la mesure de l’invraisemblable pari qu’il a réussi à tenir en quelques mois. Mais il est évident qu’il aurait grand tort de croire le deuxième tour déjà joué. C’est une nouvelle campagne qui commence. Elle va être très différente de celle du premier tour, où l’on n’a pas eu de véritable confrontation entre les candidats.
Durant la douzaine de jours à venir et notamment lors du débat télévisé du 3 mai, c’est au contraire un affrontement sans merci qui va s’engager avec la candidate du Front national. En outre, aucun candidat n’est à l’abri d’une erreur lourde de conséquences, surtout dans un délai aussi ramassé. Si Mme Le Pen s’imposait nettement lors du débat du 3 mai, il resterait fort peu de temps à M. Macron pour riposter.
– E. : Y aura-t-il une vague Cevipof entre les deux tours ? De plus, la fracture villes-campagne est frappante, les grandes villes ont l’air d’avoir voté majoritairement Mélenchon-Macron…
Oui, il y aura une vague Cevipof entre les deux tours. Elle sera a priori publiée dans le journal du 3 mai (daté 4 mai). Quant à la fracture ville-campagne, j’ai répondu dans une précédente question.
– Ghils : Au vu du peu d’entrain que suscite ce second tour pour les électeurs de gauche (dont je suis), le vote blanc et l’abstention risquent d’être assez élevés ! Pour ma part, je voterai blanc. Quelles conséquences pour la légitimité du/de la futur(e) président(e) ?
Au premier tour, contrairement à ce que laissaient présager les sondages, le taux d’abstention (21,8 %) et le niveau des votes blancs (1,8 %) n’ont pas été particulièrement supérieurs à ce que l’on avait observé lors des scrutins de 2012 et de 2007.
En revanche, il est très vraisemblable que le niveau du vote blanc va être beaucoup plus significatif au second tour. A gauche, bon nombre d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon, en particulier, ne se reporteront pas sur Emmanuel Macron. Ils sont aujourd’hui 29 % à refuser ce choix. A droite, de la même manière, bon nombre d’électeurs de François Fillon et surtout de Nicolas Dupont-Aignan préféreront l’abstention ou le vote blanc à un vote Macron.
Quant à la légitimité du futur président, elle est de toute façon vouée dès le départ à être fragile : Emmanuel Macron a recueilli à peine plus de 18 % des voix des inscrits et Marine Le Pen à peine plus de 16 %. C’est un socle très faible pour l’un comme pour l’autre.
– tarti : La plus belle victoire d’hier n’est-elle pas celle des sondeurs ?
Vous n’avez pas tort. On a assez, de tous côtés et sur tous les tons, accusé les sondeurs de raconter n’importe quoi pour ne pas souligner la précision de leurs enquêtes d’intentions de vote et de leurs estimations dimanche soir.
C’est en particulier le cas d’Ipsos, qui est notre partenaire avec le Centre de recherche de Sciences Po (Cevipof) depuis dix-huit mois. Les dernières enquêtes précédant le premier tour indiquaient non seulement l’ordre d’arrivée exacte des principaux candidats mais également leurs scores à un point près au maximum. Quant à l’estimation à 20 heures hier, elle était exacte à 0,3 point près.
– Elisia : L’élimination des deux grands partis au premier tour annonce-t-elle la fin du bipartisme français tel qu’on l’a connu jusqu’à aujourd’hui ?
C’est indéniablement un bouleversement du paysage politique. Celui-ci a été dominé depuis le début des années 1970 par l’affrontement bipolaire entre la droite et une gauche conduite par le Parti socialiste. L’élimination des candidats de ces deux partis dimanche soir est donc un double séisme.
Selon l’expression qui s’est rapidement imposée, c’est une sorte de « 42 avril », c’est-à-dire le 21 avril 2002 multiplié par deux. L’échec des Républicains et l’effondrement du Parti socialiste traduisent la décomposition d’un système ancien, usé jusqu’à la corde, autant qu’un besoin très fort d’un renouvellement auquel aspirent les Français.
Mais cette décomposition ne préjuge en rien, à ce stade, de la manière dont le paysage politique va se réorganiser. Selon les résultats du PS et des Républicains aux législatives de juin, sera ou non confirmé leur effacement durable. Le risque est évidemment beaucoup plus fort pour les socialistes qui viennent d’enregistrer l’un des revers les plus cuisants de leur histoire.
– Jérémy : Le vote pour Emmanuel Macron est-il un vote d’adhésion, ou un vote « par défaut », qui s’explique surtout par le rejet de la personnalité (et des affaires) de François Fillon ? Peut-on dire que, pour ce premier tour, les motivations des électeurs sont d’une certaine façon les mêmes qu’en 2012, où le rejet de la personnalité de Nicolas Sarkozy avait valu la victoire à François Hollande, plus que l’adhésion à son programme ?
Dans toutes élections et notamment à la présidentielle, il y a une part de vote de rejet. C’est particulièrement vrai lorsque le président sortant se représente et se voit reprocher son bilan. C’est ainsi que François Mitterrand l’avait emporté contre Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et que François Hollande avait surclassé Nicolas Sarkozy en 2012.
Cette année, on a assisté à « un vote contre » tous azimuts : vote contre François Fillon du fait des affaires judiciaires qui l’ont discrédité, vote contre Benoît Hamon parce que l’affaiblissement de sa candidature donnait à beaucoup d’électeurs le sentiment d’un choix perdant, vote contre Marine Le Pen au profit d’Emmanuel Macron vécu par bon nombre d’électeurs comme le meilleur rempart contre l’extrême droite.
Il y a bien sûr eu une part de vote d’adhésion, notamment en faveur de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron. Mais il est certain que le vote utile, ou plus exactement les votes utiles, a pesé plus lourdement que lors des deux précédents scrutins présidentiels. Et ce comportement risque d’être démultiplié au second tour.