Europe, Macron, emploi : la « trumpisation » de Marine Le Pen sur TF1
Europe, Macron, emploi : la « trumpisation » de Marine Le Pen sur TF1
Par Samuel Laurent, Adrien Sénécat
La candidate du Front national a multiplié les fausses affirmations et les allusions douteuses sur le plateau de l’émission « Elysée 2017 », mardi. Inventaire.
Marine Le Pen était l’invitée de TF1, mardi 25 avril. Désormais seulement « soutenue » par le Front national,
Les « faits alternatifs », l’arme de communication de l’administration Trump
Durée : 03:43
Sur l’Europe
- Une prétendue « explosion des prix » liée à l’euro
Interrogée par Gilles Bouleau sur la faible hausse des prix depuis l’entrée en vigueur de l’euro, Marine Le Pen a contesté cette version des faits :
POURQUOI C’EST FAUX
Calculé par l’Insee, l’indice des prix à la consommation a augmenté régulièrement depuis le début des années 2000. Mais lorsque l’on scrute la courbe sur une plus longue période, depuis 1990, on s’aperçoit qu’elle est presque linéaire et que l’entrée en vigueur de l’euro ne constitue pas une rupture.
Certains produits ont pu augmenter au cours de la période, notamment du fait des arrondis. Et surtout, la consommation a changé. Ainsi, les téléphones mobiles n’étaient pas un budget dans les années 1990. Mais, il est faux d’affirmer qu’au niveau global, l’euro aurait fait exploser les prix à la consommation.
- Un argument simpliste sur la contribution française au budget européen
POURQUOI C’EST TROMPEUR
Marine Le Pen reprend ici un argument déjà utilisé par François Asselineau et Nicolas Dupont-Aignan avant le premier tour de la présidentielle. Mais selon les chiffres du Parlement européen, la contribution nette de la France au budget de l’Europe est de 4,5 milliards d’euros pour l’année 2015. Un autre mode de calcul ajoute à ce chiffre des ressources propres traditionnelles (droits de douane, cotisations sur le sucre, etc) qui sont directement versées à l’Union européenne, et qui représentaient 1,6 milliard d’euros en 2015 selon le projet de loi de finances pour 2017. En suivant ce calcul, on passe donc à 6,1 milliards.
Au-delà des chiffres, l’affirmation de Marine Le Pen est surtout pour le moins réductrice. Elle ne compte pas tous les avantages et inconvénients indirects du fait d’appartenir à l’Union européenne, notamment l’accès au marché commun. L’exemple des négociations sur le Brexit le montre, on ne peut résumer la situation par la contribution nette des Etats au budget européen.
Sur Emmanuel Macron
POURQUOI C’EST FAUX
Marine Le Pen pousse très loin ici l’imitation de Donald Trump : rien ne permet d’affirmer qu’Emmanuel Macron a des liens avec l’UOIF, encore moins qu’il est « entre leurs mains ». Elle tente ici de créer une intox, en amalgamant deux choses :
Une polémique artificielle autour d’un soutien d’Emmanuel Macron
Dans la lignée des « Ali Juppé » et « Bilal Hamon », Mohamed Saou a été un autre cas de diabolisation d’un candidat, en lui prêtant des affinités avec l’islam radical. Le responsable départemental du mouvement En marche ! dans le Val-d’Oise a été l’objet d’une polémique très relayée par les militants du Front national et de François Fillon sur Internet, pour des messages Facebook jugés « douteux » et signes d’une sympathie pour l’islam radical, ce que démentent d’autres éléments. Il a été placé en retrait du mouvement, sans exclusion.
Une vidéo tronquée d’Emmanuel Macron, filmée sur Beur FM, a également alimenté la machine à rumeurs. Le candidat s’y dit conscient que Mohamed Saou a pu tenir des propos douteux, tout en notant qu’il s’agit par ailleurs d’un type bien. Mais aucun élément factuel ne vient appuyer l’affirmation de Mme Le Pen. Mohamed Saou n’est, jusqu’à preuve du contraire, pas un « islamiste radical ».
Un mensonge autour de l’Union des organisations islamiques de France
Ici encore, Mme Le Pen crée une sorte de « vérité alternative » qui n’est pas sans rappeler celle de Donald Trump. L’Union des organisations islamiques de France est l’une des cinq associations principales qui représentent l’islam français, elle est représentée au Conseil français du culte musulman. Partisane d’un islam rigoriste, elle est souvent décrite comme proche des Frères musulmans.
Elle a, comme la Grande Mosquée de Paris, le Grand rabbin de France ou nombre de syndicats et associations, appelé à voter en faveur de M. Macron. Ce qui ne signifie en rien que ce dernier serait plus dans « ses mains ».
On est ici dans une rhétorique qui frôle le complotisme, où la charge de la preuve est inversée. Marine Le Pen amalgame une organisation musulmane et un soutien de M. Macron dans le but de faire naître un soupçon et de le pousser à répondre, pour créer une polémique.
Sur l’immigration
POURQUOI C’EST FAUX
Marine Le Pen reprend ici un chiffre souvent cité, mais qui demande à être expliqué. Sur ces « 200 000 étrangers » (227 200 en 2016), on compte 70 000 étudiants environ. L’admission au séjour pour motif familial a représenté environ 85 000 demandes, et l’immigration économique, donc motivée par un emploi en France, près de 25 000 personnes. Enfin, Mme Le Pen n’évoque pas les sorties du territoire, qui sont d’environ 60 000 personnes par an.
Sur le chômage
POURQUOI C’EST FAUX
A la fin de janvier 2017, en France métropolitaine, le nombre de chômeurs tenus de rechercher un emploi et sans activité (catégorie A) était de 3,5 millions. C’est ce nombre qu’on convoque communément pour parler des « chiffres du chômage ». Si l’on y ajoute les personnes à temps partiel et souhaitant travailler davantage (les catégories B et C), ce nombre s’établit à 5,5 millions, selon les chiffres de Pôle emploi. Et même 6,2 millions si l’on ajoute les catégories D et E, qui regroupent les personnes non tenues de chercher un emploi (personnes en stage, formation, maladie, contrats aidés…).
Cette définition, très large, ne correspond pas à celle du « chômeur », au sens du Bureau international du travail (BIT), qui doit répondre à trois critères simultanément :
- être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence ;
- être disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours ;
- avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.
C’est sur cette base que l’Insee estimait le nombre de « chômeurs » à 2,8 millions de personnes en France métropolitaine au troisième trimestre 2016. Sans nier la réalité du chômage, il est donc exagéré de parler de « 7 millions de chômeurs ».
Interpellée par Gilles Bouleau sur sa présentation exagérée des chiffres, Marine Le Pen a rétorqué ceci :
« J’ai un certain nombre de gens autour de moi qui ne rentrent pas dans les critères du chômage qui y sont, qui sont en formation. Il y a eu une explosion du nombre de formations […] de 300 % depuis janvier 2016. »
La candidate laisse ici entendre que les formations sont utilisées pour « maquiller », en quelque sorte, les chiffres du chômage. Mais il est d’abord faux d’affirmer que le nombre de formations aurait été multiplié par quatre comme elle l’entend. Selon les chiffres de Pôle emploi, le nombre de personnes qui sortent de la recherche d’emploi (catégories A, B et C) à cause d’une « entrée en stage » a bien augmenté, passant d’un niveau stable autour de 40 000 à 45 000 personnes concernées par mois fin 2015 et début 2016 à un niveau autour de 80 000 personnes par mois fin 2016 et début 2016. Mais il s’agit d’une multiplication par deux, et non par quatre.
Surtout, selon les mois, ce cas de figure ne concerne qu’environ une personne qui sort du chômage sur sept environ. Sur les deux derniers mois, le nombre de demandeurs d’emplois en catégorie D (cas qui regroupent les stages, formations et maladies) a d’ailleurs baissé, passant de 339 600 en décembre 2016 à 323 500 en février 2017. Toujours selon Pôle emploi, les créations d’emploi sont par ailleurs en hausse.
Sur le terrorisme
Marine Le Pen a rappelé sa proposition d’expulser tous les fichés S étrangers.
POURQUOI C’EST INAPPLICABLE
La loi permet tout à fait d’expulser un étranger qui représente « une menace grave ou très grave pour l’ordre public ». La décision peut être prise par le préfet ou, dans certains cas, le ministre de l’intérieur. Sauf « urgence absolue », la procédure demande de convoquer la personne concernée devant une commission avant de prendre une décision. Convocation qui doit être notifiée au moins quinze jours à l’avance.
Ce qui pose problème, c’est que Marine Le Pen laisse entendre qu’il serait possible d’expulser de manière systématique des étrangers soupçonnés d’appartenir de près ou de loin à la mouvance djihadiste. Or la décision d’expulsion ne peut se faire qu’en fonction d’une appréciation individuelle de la menace.
Il n’est pas nécessaire que la personne visée ait été condamnée, mais le danger doit être jugé « actuel » et « proportionnel » à la décision d’éloignement. Le cas des « fichés S » regroupe des situations bien trop vagues et diverses pour légitimer des expulsions systématiques. La fiche « S » est un outil de surveillance, pas d’appréciation du niveau de dangerosité d’un individu.