En Chine, des fous volants
En Chine, des fous volants
M le magazine du Monde
Mordus d’aéronautique, ils bricolent sans relâche d’étranges machines. La photographe Xiaoxiao Xu est partie à la rencontre de ces mécanos du dimanche un peu perchés.
En 2013, un accident a cloué Jin Shaozhi (ici dans son avion, baptisé Cheval céleste)au sol pendant un an, mais il rêve toujours de voler (page de gauche, le plan de son engin). « La première fois que j’ai réussi, j’étais aux anges. Et chaque fois que je suis dans le ciel, je voudrais y rester plus longtemps. J’envisage de voler jusqu’à mes 90 anset de sans cesse améliorer mon avion. » (Ville de Lishui, province du Zhejiang). | Xiaoxiao Xu
Soyez francs : à part deux ou trois recettes de cuisine, que savez-vous faire de vos mains ? Réparer des objets compliqués ? Souder deux pièces de métal ? Construire quelque chose d’utile ou de beau ? Quelque chose qui vole ? En 2014, la photographe chinoise Xiaoxiao Xu est tombée sur un article de presse qui racontait une histoire improbable et visuellement assez prometteuse. Celle de Chinois tenaillés par le désir ardent de voler et, surtout, d’y parvenir par eux-mêmes, de leurs propres mains, grâce à leur ingéniosité. « Lorsque j’ai lu cet article, j’ai tout de suite voulu monter mon propre projet, raconte-t-elle. Pendant deux mois, je suis allée à la rencontre de ces gens, parfois de simples fermiers, qui construisent leur propre aéronef. » Xiaoxiao est partie dans le Guangdong, le Zhejiang, le Sichuan, capturer des images de ces intrépides réinventeurs de l’aéronautique.
Ils imaginent un design original, esquissent, et dressent méticuleusement leurs plans. Puis, le plus souvent, ils récupèrent de la tôle, des moteurs hors d’usage, toutes sortes de pièces et d’objets pour assembler et construire, dans des hangars miteux ou des arrière-cours de ferme, des engins présumés volants aux formes foutraques. Hélicoptères sans cockpit, ailes volantes motorisées, monomoteurs à la dégaine inquiétante, étranges machines hybrides mêlant les attributs de l’hélicoptère à ceux de l’ULM… Dans un accès d’optimisme, un de ces ingénieurs du dimanche a même imaginé une machine qui battrait des ailes, comme un volatile, pour s’élever dans les airs. La bête, baptisée Aigle sacré, a bel et bien été construite, mais n’a pas réussi à quitter le plancher des vaches.
« Ce sont des personnes souvent modestes et qui ont peu d’argent à consacrer à leur projet, raconte Xiaoxiao. Il leur faut beaucoup d’ingéniosité et d’imagination pour réussir. » Il leur faut aussi pas mal de courage. Car ces coucous de fortune – et ce n’est pas évident à contempler certains modèles – volent en effet. Sur les huit aéronautes rencontrés par Xiaoxiao, six sont parvenus à faire décoller leur engin. Wang Qiang a fait grimper sa créature à 1 500 mètres d’altitude. Su Guibin aurait tutoyé les 5 000 mètres. Xu Bin, qui bricole des aéronefs depuis près d’un quart de siècle, aurait fait monter son dernier-né – baptisé Dragon blanc – à près de 2 000 mètres.
A l’évidence, il y a là deux aspirations distinctes : voler, bien sûr, mais aussi construire, imaginer un objet et lui donner vie. Coûte que coûte. Le désir de voler, tout le monde le comprend. Mais celui d’inventer l’objet ad hoc, de le bricoler de ses mains ? On lira avec bénéfice le livre du philosophe américain Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur (La Découverte, 2016), dans lequel l’auteur, universitaire, raconte comment et pourquoi il a lâché son confortable métier de directeur de think tank pour embrasser la carrière de mécanicien moto – par amour pour les arts mécaniques et aussi pour la satisfaction de contempler la manifestation matérielle et fonctionnelle du travail accompli.
Pour les mécanos perchés photographiés par Xiaoxiao, cette satisfaction est de s’arracher, dans leur aéronef, à la pesanteur à tout prix. L’un d’eux s’est crashé ; il passera la suite de sa vie dans un fauteuil roulant. Un autre, Jin Shaozhi s’est écrasé en 2013 et s’est brisé une jambe. Les pales de sa machine lui ont ouvert le ventre, ont mis ses tripes en vrac. « Il est resté immobilisé pendant un an », raconte Xiaoxiao. Le gars s’en moque. Il veut toujours voler.