Journée de la liberté de la presse : peut-on faire « comme avant » au Burundi ?
Journée de la liberté de la presse : peut-on faire « comme avant » au Burundi ?
Par Antoine Kaburahe
Antoine Kaburahe, rédacteur en chef du quotidien « Iwacu », rappelle que la presse burundaise subit une répression et une censure sans précédent depuis deux ans.
Illustration d’Alif. | IWACU
Touchés. Blessés. Le 14 mai 2015, le pluralisme de l’information a été atteint en plein cœur à Bujumbura. Au petit matin, une fumée noire flotte au-dessus de Radio Télé Renaissance et de Radio Télé REMA. Dans la journée, la Radio publique africaine est incendiée, les radios Bonesha et Isanganiro sont saccagées, détruites. Ce soir-là, le silence règne sur les ondes.
Jusque-là, le Burundais était bien loti. Il avait le choix. Il n’avait pas besoin des RFI, BBC et autres Voix de l’Amérique et pouvait, avec fierté, consommer « local ».
Antoine Kaburahe, journaliste burundais: « N’oubliez pas ce qui se passe au Burundi ! »
Durée : 06:08
Le choix était varié. De l’info pour tous les goûts. En général pro. Bien préparée. Bien présentée. Même si, chez certains, depuis quelques années, apparaissaient des tendances inquiétantes, des propos haineux, des insultes visant des personnalités ou des mouvements politiques. Les médias burundais n’étaient certes pas irréprochables. Il y a eu des fautes, des péchés de jeunesse, voire quelques fois des écarts avec la déontologie. Mais ils contribuaient au débat démocratique.
Ce matin du 14 mai 2015 a signé la mort de cette diversité qui faisait notre fierté. En tout état de cause, quels que soient leurs « péchés », graves ou véniels, les médias burundais ne méritaient pas cette immolation par le feu. Cette éradication.
La stupeur passée, quelques rescapés de cette liquidation, la peur au ventre, tentent de faire « comme avant ». Le journal Iwacu, après quelques semaines de silence, a recommencé à paraître, mais son équipe, ou plutôt ce qui en reste, après quelques départs en exil, travaille dans des conditions éprouvantes. Rien ne sera plus comme avant.
Chiens faméliques
Peut-on faire « comme avant », quand le travail sur le terrain est interdit à certains ? Le journaliste, pour bien comprendre et rendre compte, a besoin d’être là. Présent sur le terrain, « embedded » dans la réalité. Respirer le même air que sa source. WhatsApp n’a pas d’âme.
Peut-on faire « comme avant », quand la prudence contraint à filtrer, parfois à taire, à biaiser, pour se protéger et protéger les autres ? Quand il faut distordre la voix du téméraire qui a osé témoigner ? Quand il faut flouter autant que possible la photo de la source ?
Aujourd’hui, les journalistes sont suspects, ils rasent les murs. En reportage, ils doivent s’annoncer à l’autorité locale avant d’essayer de travailler, à leurs risques et périls.
« Mujeri », des « chiens faméliques », devant Moloch, éparpillés, exilés, apatrides, démunis, mais encore en vie. Notre collègue Jean Bigirimana n’a pas eu cette chance : il a disparu le 22 juillet 2016 et son corps n’a jamais été retrouvé. Pensons à lui, mais célébrons aussi la vie, malgré tout, en cette journée du 3 mai dédiée à la liberté de la presse. Plus que jamais, nous avons le devoir de continuer. Faire l’information comme on accomplit un sacerdoce. Car la population a plus que jamais besoin de savoir, de comprendre, de saisir ce qui lui arrive. En espérant qu’un jour le Burundi puisse à nouveau rendre espoir et confiance à ses journalistes.
Antoine Kaburahe est directeur d’Iwacu, le dernier média indépendant encore en activité et dont Le Monde Afrique est partenaire. Menacé comme de nombreux journalistes, il a dû quitter le Burundi et vit en Belgique