Le ministre des finances tchèque Andrej Babis (à gauche) et le premier ministre Bohuslav Sobotka, à Prague, le 23 mars 2016. | David W Cerny / REUTERS

En conflit avec son populaire ministre des finances – l’oligarque populiste Andrej Babis –, le premier ministre social-démocrate Bohuslav Sobotka a décidé, mardi 2 mai, de présenter la démission de son gouvernement, à cinq mois des législatives. Une semaine après avoir menacé de retirer son portefeuille à M. Babis – qui jouit d’une popularité étonnante malgré les nombreuses affaires et révélations sur les pratiques de son empire industriel Agrofert, et les soupçons de fraude fiscale dont il fait l’objet –, M. Sobotka a préféré jeter l’éponge. « Je ne veux pas faire de M. Babis un martyr », a justifié le premier ministre, qui a surpris la plupart des analystes et de ses concitoyens, et jusqu’à ses ministres, informés a posteriori.

Le milliardaire Babis, un ancien membre de la nomenklatura communiste accusé d’avoir été un collaborateur de la police politique, a jugé « lâche » la décision du chef du gouvernement. Porté par les sondages qui promettent une nette victoire à son parti populiste ANO aux élections d’octobre (environ 30 % des voix contre moins de 20 % pour les sociaux-démocrates), M. Babis se retrouve en position de force. Il peut compter sur la bienveillance du président xénophobe et prorusse Milos Zeman, avec lequel il entretient d’excellentes relations depuis les privatisations des années 1990. Alors premier ministre, celui-ci lui a permis de racheter à bons frais des entreprises clés.

« Couardise »

Le président, qui n’a fait aucun commentaire, devra décider des suites à donner à la démission du cabinet de coalition. M. Zeman, qui avait tenté d’empêcher M. Sobotka, le chef du Parti social-démocrate (CSSD), de devenir premier ministre après sa victoire aux législatives de 2013 en organisant une tentative de putsch interne au CSSD, se complaît dans ces embrouillaminis. Voici quatre ans, il avait déjà installé, contre toute attente et contre la volonté des partis politiques, un cabinet technique à la suite de la chute du gouvernement de droite de Petr Necas, accusé d’avoir utilisé les services secrets contre son épouse, en plein divorce.

L’opposition de droite a dénoncé la « couardise » de M. Sobotka, qui a « remis les clés du pouvoir à l’imprévisible président », selon l’ex-ministre des finances de M. Necas et chef du parti TOP 09, Miroslav Kalousek. Le patronat tchèque a également critiqué la décision du premier ministre, l’accusant de plonger le pays dans « l’expectative, l’inaction et les turbulences politiques à cinq mois des élections ».

L’économie tchèque affronte les conséquences de la réévaluation de la couronne nationale après l’arrêt des interventions massives de la Banque centrale pour maintenir un cours dévalué de la monnaie. Par ailleurs, le pays, tout en maintenant une politique migratoire très restrictive, fait face à une pénurie de main-d’œuvre qui met en danger de nombreux investissements étrangers.

Conglomérat

Les Tchèques se sont habitués aux situations politiques rocambolesques. Quelques semaines après avoir proclamé que la politique de son gouvernement a été « couronnée de succès », et que la coexistence au sein de la coalition a été somme toute l’une des plus paisibles qu’un gouvernement tchèque ait connue, M. Sobotka a décidé de le saborder à cause des conflits d’intérêts de son ministre des finances, connus depuis le premier jour.

A la tête d’un conglomérat d’industries liées à l’agriculture et à l’alimentation – à peu près tout ce que mangent les Tchèques contient un produit d’Agrofert –, M. Babis a eu beau formellement en confier la direction à l’un de ses fidèles lieutenants, les liens n’ont jamais été coupés. Désireux de « gérer l’Etat comme une entreprise », le milliardaire a, selon la presse, oublié quels intérêts servir en premier.