LA LISTE DE LA MATINALE

D’un côté, une brillante satire qui se sert des codes du film de terreur pour explorer le racisme américain, de l’autre, un portrait aimant et tragique d’une grande poétesse de Nouvelle-Angleterre, et, pour se rapprocher de la maison, un super-héros romain et la chronique d’une jeunesse parisienne.

Devine qui vient se mettre en péril ? : « Get Out »

Get Out / Bande-annonce officielle VOST [Au cinéma le 3 mai]

Depuis sa présentation au Festival de Sundance, en janvier, le film de Jordan Peele a déplacé les foules, ce qui est déjà remarquable pour un long-métrage d’horreur réalisé par un débutant connu jusqu’alors comme comique télévisuel. Mais surtout, l’histoire de Chris (Daniel Kaluuya), le chic type qui accompagne sa petite amie (Allison Williams) pour un week-end chez les parents de cette dernière, a suscité un débat passionnant et passionné sur l’état réel des relations raciales aux Etats-Unis.

Combinant les situations de classiques du siècle dernier (la réaction des beaux-parents à l’arrivée d’un gendre noir dans Devine qui vient dîner ?, la robotisation des opprimés dans Les Femmes de Stepford), Peele force le spectateur à serrer très fort les bras de son fauteuil et à réfléchir à sa propre position. Thomas Sotinel

Film américain de Jordan Peele avec Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener, Bradley Whitford (1 h 44).

La recluse d’Amherst : « Emily Dickinson. A Quiet Passion »

EMILY DICKINSON, A QUIET PASSION de Terence Davies - bande-annonce

De son vivant (1830-1886), Emily Dickinson vécut dans l’obscurité, repliée au sein de sa famille, dans sa maison d’Amherst (Massachusetts). Après sa mort, critiques et public ont découvert sa formidable production poétique, elle est devenue l’un des piliers des lettres américaines.

Le metteur en scène britannique Terence Davies, qui aime les intérieurs familiaux, les élans contrariés, les passions d’autant plus brûlantes qu’elles sont intériorisées, trace un magnifique tableau de cette vie faite de macération et d’extase.

Utilisant aussi bien les conventions aujourd’hui désuètes du film en costume que les effets spéciaux numériques (le vieillissement des personnages), le vieux cinéaste met en scène une marche vers la mort à la fois lumineuse et tragique, accomplie jusque dans sa tragique conclusion par Cynthia Nixon. L’ex-comparse de Sex and the City est ici prodigieuse de force et d’abnégation. T.S.

Film britannique et belge de Terence Davies. Avec Cynthia Nixon, Keith Carradine, Jennifer Ehle, Jodhi May (2 h 04).

Une jeunesse de colère : « De toutes mes forces »

DE TOUTES MES FORCES - UN FILM DE CHAD CHENOUGA - EXTRAIT 1

Certains spectateurs se souviennent peut-être de 17, rue Bleue, remarquable et sensible premier long-métrage de Chad Chenouga, sorti en 2001. Le metteur en scène revient avec De toutes mes forces, qui commence très exactement là où le précédent finissait, avec la mort de la mère. Le film n’est pas une suite au sens où il ne s’agit pas, contrairement à 17, rue Bleue, d’un film d’époque – le héros, qui s’appelait Chad, a d’ailleurs changé de nom – mais enfin, il reste suffisamment d’indices pour penser que le destin du jeune Nassim (finement interprété par Khaled Alouach) a beaucoup à voir avec celui de l’auteur.

Placé dans un foyer de la banlieue parisienne par la DASS à la mort de sa mère, le garçon n’en poursuit pas moins sa scolarité dans un lycée parisien. Les deux univers sont maintenus hermétiquement clos par le jeune homme, qui côtoie ici les éclopés rageurs et colorés de la vie du foyer, là les rejetons blancs de la bourgeoisie française, y compris sa petite amie. Beau film, qui se demande, en vertu d’une revanche légitime à prendre sur la société, comment vivre avec la colère, avec l’amertume, avec le mensonge. Jacques Mandelbaum

Film français de Chad Chenouga avec Khaled Alouach, Yolande Moreau, Laurent Xu, Daouda Keita (1 h 38).

Ils sont forts ces Romains : « On l’appelle Jeeg Robot »

LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT - TRAILER UFFICIALE 2 | HD

Voici un super-héros qui vit loin de Gotham et Metropolis, à la fois fort et corrompu, hors-la-loi et dernier rempart de la cohésion sociale, un rêve italien, donc, mis en scène avec un mélange de sauvagerie satirique et de premier degré qui a permis à On l’appelle Jeeg Robot de remporter un énorme succès dans son pays.

Le scénario et la mise en scène jouent avec une habileté un peu roublarde du va-et-vient entre le film de gangsters brutal, à la Romanzo Criminale, et la fantaisie. La seule constante est l’attachement à l’environnement romain, et le film culmine en un finale presque apocalyptique pendant un derby Lazio-Roma. Il y a une certaine justice poétique à voir les jeux du cirque revenir au bercail. T.S.

Film italien de Gabriele Mainetti avec Claudio Santamaria, Ilenia Pastorelli, Luca Marinelli (1 h 58).

Un mois sous terre : « Tunnel »

TUNNEL - de KIM Seong-hun - Bande Annonce VOSTF

Coincé par l’éboulement d’un tunnel, un automobiliste attend, pendant plus d’un mois, des secours dont la tâche est rendue difficile et longue par les conditions de l’affaissement du terrain. Tunnel relève de plusieurs genres cinématographiques.

Cette hybridation est sans doute à mettre sur le compte de son sujet, qui embrasse à la fois le suspense et la dénonciation sociale, mais aussi le drame et les situations parfois grotesques. Mais aussi sur celui de la boulimie dont témoigne souvent un cinéma populaire coréen décidé à faire feu de tout bois.

Entrelaçant deux récits parallèles (l’attente du prisonnier et l’organisation des secours), le film de Kim Seong-hun court assez brillamment plusieurs lièvres à la fois, ne négligeant pas parfois une dimension humoristique construite sur la maladresse bouffonne des secouristes, pour aborder un sujet plus grave, celui de la dangerosité d’infrastructures dévoilant une course au profit et au rendement sans conscience, au mépris de la sécurité des individus. Jean-François Rauger

Film coréen de Kim Seong-hun avec Ha Jung-woo, Doona Bae, Oh Dal-su (2 h 06).