Le président polonais, Andrzej Duda, à Mexico le 25 avril. | EDGARD GARRIDO / REUTERS

Les ultraconservateurs au pouvoir à Varsovie s’apprêtent-il à accroître leur emprise sur le pays pour le centenaire de son indépendance ? Le président, Andrzej Duda, a annoncé, mercredi 3 mai, qu’il souhaitait organiser d’ici à novembre 2018 un référendum constitutionnel sur le régime politique actuellement en vigueur en Pologne.

« Les Polonais ont le droit de donner leur avis, de dire si la Constitution en vigueur depuis vingt ans doit être changée, a-t-il déclaré lors de l’anniversaire de la Constitution du 3 mai 1791. Je souhaite un référendum l’année prochaine et un débat auquel ne participeront pas seulement les élites et les politiques. » Selon lui, la nation devrait se prononcer sur « l’avenir du régime, les rôles du président, du Sejm [la chambre basse du Parlement] et du Sénat » ainsi que sur « les droits civiques et les libertés qui devraient être accentués ».

Cette annonce n’est pas une surprise. Le parti Droit et justice (PiS) est depuis toujours un farouche opposant à la Troisième République polonaise. Son président, Jaroslaw Kaczynski, véritable homme fort du pays, a qualifié à de nombreuses reprises la COnstitution de 1997 – fruit d’un compromis fragile pendant la transition démocratique – de « document postcommuniste ».

« Questions fondamentales »

Les projets de modification constitutionnelle du pouvoir sont d’autant plus scrutés que depuis janvier 2016 Varsovie est sous le coup d’une procédure de « sauvegarde de l’Etat de droit » enclenchée par la Commission européenne – depuis que l’exécutif polonais a enfreint la Loi fondamentale en mettant sous tutelle le Tribunal constitutionnel.

Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a répété mercredi dans un entretien à la presse allemande que la situation en Pologne constituait « un danger fondamental pour l’Etat de droit ». « Il s’agit de questions fondamentales. Quand la justice cesse d’être indépendante, qu’elle doit suivre les instructions du gouvernement, ce n’est pas qu’un problème pour les droits de l’homme en Pologne, mais c’en est aussi un pour le marché intérieur européen », a-t-il précisé.

L’entourage de la cheffe du gouvernement, Beata Szydlo, a expliqué que cette dernière attendait que le président présente une « feuille de route » et les « éventuelles directions » de la future Constitution. Mais Andrzej Duda n’a pour le moment donné aucune précision sur la nature des changements voulus. Selon les propositions du PiS issues des deux dernières campagnes électorales, les conservateurs polonais pencheraient pour une hausse des prérogatives du président, un pouvoir plus centralisé, au détriment des collectivités locales, et une rupture de la neutralité religieuse de l’Etat. Jaroslaw Kaczynski estime ainsi que le préambule de la Constitution polonaise devrait commencer par les mots : « Au nom de Dieu tout-puissant… » Un moyen pour le président du PiS de s’assurer le soutien de l’Eglise dans ce débat.

« Inviter un criminel à discuter du code pénal »

Cette annonce confirme que le parti au pouvoir souhaite mettre le débat institutionnel au cœur des deux prochaines échéances électorales, les élections locales de 2018 et les législatives de 2019, pour lesquelles la majorité a également évoqué un changement du code électoral.

« L’annonce de cette consultation est un élément tactique de la guerre politique, alors que le parti au pouvoir chute dans les sondages, souligne Jaroslaw Flis, sociologue à l’université Jagellonne de Cracovie. C’est une main tendue aux électeurs centristes, une tentative de passer un message d’unité qui vise à piéger l’opposition. Mais le contexte rend tout compromis impossible, car la nature du débat politique reste extrêmement tendue»

L’opposition libérale a rejeté en bloc la proposition du président. « Je ne vais pas rentrer dans une discussion organisée par Andrzej Duda, a affirmé l’ancien président, Bronislaw Komorowski (Plate-forme civique, centre droit). On peut discuter avec un président qui remplit ses devoirs constitutionnels. Le devoir du président est d’être le gardien de la Constitution, or l’actuel président l’enfreint. » « C’est comme inviter un criminel à discuter du code pénal », a-t-il ajouté. Katarzyna Lubnauer, de Nowoczesna (« Moderne », parti libéral), a pour sa part qualifié cette annonce d’« inquiétante » à peine quelques semaines après le référendum turc, qui a considérablement renforcé, le 16 avril, les pouvoirs du président, Recep Tayyip Erdogan.