Nette envolée du nombre de sites web bloqués par la police
Nette envolée du nombre de sites web bloqués par la police
Par Martin Untersinger
Le nombre de sites bloqués en France a été multiplié par trois en un an. En tout, la police a émis 5 512 demandes de blocage, de retrait ou de déréférencement de contenus terroristes ou pédopornographiques.
Le nombre de sites bloqués en France entre mars 2016 et février 2017 a été multiplié par trois par rapport à la même période l’année dernière. La police a demandé le blocage de 165 sites terroristes et 709 sites pédopornographiques, soit 874 au total, contre 312 l’an passé, a détaillé mercredi 3 mai la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans le rapport de la personnalité qualifiée issue de ses rangs et chargée du contrôle de ce mécanisme.
Par ailleurs, 2 561 demandes de retraits de contenus (vidéos, photos, textes…) – concernant à plus de 85 % des contenus terroristes – ont été adressés par la police aux hébergeurs, notamment les grands réseaux sociaux, contre 1 439 l’année dernière. Dans 90 % des cas, cette demande a été suivie d’effets. Les services du ministère de l’intérieur ont également procédé à 2 077 demandes de déréférencement de contenus des moteurs de recherche (855 sur la période antérieure).
« Aucun surblocage constaté »
La loi contre le terrorisme du 13 novembre 2014 a donné à la police la possibilité de demander, sans passer par un juge, le retrait, le blocage ou le déréférencement des contenus pédopornographiques, faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à commettre des actes terroristes. La loi prévoit également que la CNIL désigne une « personnalité qualifiée » – la Commission a nommé en 2015 le magistrat Alexandre Linden – chargée de contrôler la « régularité » des demandes policières, puisque ces dernières ne passent pas par un juge. Chaque contenu faisant l’objet d’une demande (retrait, blocage ou déréférencement) atterrit, par le biais d’un système informatique spécial, sur le bureau de M. Linden et d’une poignée d’agents de la CNIL volontaires. Ces derniers ont réalisé, entre mars 2016 et février 2017, 28 séances de contrôle.
De manière générale, M. Linden estime que la police « a respecté, comme l’année précédente, le principe de proportionnalité applicable en matière d’atteinte à la liberté d’expression ». « Aucun cas de surblocage n’a été constaté », écrit-il par ailleurs, en référence à la principale crainte des opposants à ce mécanisme, celle de le voir aboutir au blocage de sites tout à fait légaux. Le rapport ne fait pas mention du blocage, suite à une erreur d’Orange, de plusieurs sites dont Google et Wikipédia, en octobre. Les abonnés du fournisseur d’accès à Internet qui tentaient alors de se connecter à ces sites ont abouti sur la page qu’affiche le ministère de l’intérieur à la place d’un site bloqué, avant qu’Orange ne rectifie le tir.
La délicate interprétation de l’apologie du terrorisme
Cependant, à 715 reprises (soit plus d’un cas sur 10), des demandes de complément d’information ont été adressées à la police par M. Linden et ses équipes, incapables d’apprécier la régularité de la demande, faute notamment de contexte, crucial dans le cas de l’apologie ou de l’incitation à des actes de terrorisme. Problème : certaines demandes « sont restées sans réponse », empêchant la personnalité qualifiée « d’exercer sa mission ».
En cas de doute sur la légalité de la demande policière, la personnalité qualifiée peut formellement émettre une recommandation. Cela a été le cas à dix reprises, essentiellement lorsque des photos très violentes ne relevaient pas à strictement parler de l’apologie ou de l’incitation au terrorisme. « Suivant le contexte, ou la légende, une vidéo d’un attentat peut être une apologie ou une critique », a expliqué Alexandre Linden lors de la conférence de presse de présentation de son rapport. Cela a notamment été le cas de photographies des victimes de l’attentat de Magnanville, d’une photographie d’un homme tenant une tête coupée ou d’une vidéo de l’assassinat du policier Ahmed Merabet lors de l’attaque de Charlie Hebdo. Dans la plupart des cas, la police a suivi la recommandation et renoncé à sa demande.
« Un gros problème de moyens »
L’état d’urgence a donné la possibilité au ministère de l’intérieur de se dispenser d’avertir la personnalité qualifiée de la CNIL pour procéder à des blocages de site. Le ministère a déclaré à M. Linden n’avoir jamais recouru à cette possibilité.
Le rapport de la personnalité qualifiée est avare en préconisations pour le futur. « L’année dernière nous avons fait quatre préconisations, mais aucune n’a été suivie d’effets. Je me suis demandé si cela valait la peine d’en faire cette année », juge ainsi M. Linden. Sa principale préoccupation, liée à la très forte augmentation des demandes policières ? Celle des moyens. Les membres de son équipe sont tous des personnels volontaires de la CNIL, que l’institution, qui réclame par ailleurs des fonds supplémentaires, met à sa disposition. « En novembre, la présidente de la CNIL a demandé des moyens supplémentaires, mais à ce jour aucune réponse ne nous est parvenue. (…) Si nous n’avons pas une augmentation des moyens, cela va poser un très, très gros problème », a averti M. Linden.