Un collectif d’une trentaine d’associations est à l’origine de ce concert qui a rassemblé Carmen Maria Vega, Féfé, Jane Birkin ou Pete Doherty sur la place de la République. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Foule contre foule. La première est massive, déborde de tous les côtés de la place de la République ; la seconde est clairsemée, remplit difficilement un tiers de l’esplanade. La première crie et pleure, s’emporte contre l’« horreur » et « refuse l’inacceptable ». Sous une violente averse, la seconde, un peu sonnée, regarde la première sur un écran géant. Quinze ans seulement les séparent.

« On devrait être plus nombreux ce soir », reconnaît dès les premières phrases de son discours la journaliste Audrey Pulvar, accueillie chaleureusement sur la scène montée place de la République, jeudi 4 mai. « Plus nombreux » pour soutenir ce « concert républicain », organisé par un collectif de plus de trente associations, parmi lesquels le syndicat lycéen FIDL, Emmaüs, SOS Racisme, ou encore l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Un rassemblement d’une cinquantaine d’artistes, dont Carmen Maria Vega, Féfé, Jane Birkin ou encore Pete Doherty pour « exprimer l’unité de la société civile face aux dérives racistes, antisémites, homophobes, sexistes et négationniste du Front National de Marine Le Pen ».

« Une machine à désensibiliser »

Depuis le résultat du premier tour, « la mobilisation citoyenne n’a pas été suffisante », déplore sur scène Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Un millier de personnes lui font face, beaucoup acquiescent. « Voir tous ces gens éclater en sanglots en 2002, ça fait bizarre. On a l’impression d’être passés dans une machine a désensibiliser, comme pour les allergies », constate Antoine (qui n’a pas donné son patronyme), 33 ans, mécanicien en banlieue parisienne. D’où l’idée de ce rassemblement « contre la haine », et le besoin pour les organisateurs de crier d’une seule voix que « le FN, c’est le camp de la violence de l’être » et qu’il faut « lutter contre ceux qui luttent contre l’humanisme », conclut Audrey Pulvar.

La soirée, pourtant, manque de souffle. Dans le public règne un air de « devoir républicain » plus qu’une effervescence citoyenne. « On se sent un peu seuls à dire que ce n’est pas acceptable. Particulièrement ce soir », résume Renaud, un électricien de 26 ans venu rejoindre quelques amis. « On doit prendre les responsabilités que personne ne veut prendre », renchérit Claudine, du haut de ses 67 ans. En 2002 déjà, ça lui avait « brûlé les doigts de glisser un bulletin Chirac dans l’urne », mais elle ne l’a « jamais regretté ». Encore une fois, « ce n’est pas de gaieté de cœur » qu’elle ira voter Emmanuel Macron dimanche.

Pete Doherty, le 4 mai sur la scène montée place de la République à Paris. | Francois Mori / AP

« Il n’est pas temps d’être dans l’esthétisme »

Sur scène, tous les intervenants le répètent en boucle : hors de question de s’abstenir, ou de voter blanc. « Le seul ni-ni qui vaille, c’est ni Marine, ni Le Pen », entend-on sur scène. Car c’est bien à destination des électeurs de Jean-Luc Mélenchon que se tournent la plupart des discours, ceux-là qui n’ont pas eu de consigne de vote de la part de leur candidat. « Ce qu’il faut ce n’est pas qu’elle soit vaincue dimanche, c’est qu’elle soit écrasée » lance le président de SOS racisme. « Il n’est pas temps d’être dans l’esthétisme, dans le romantisme, assène-t-il, un jour on se remémorera le 7 mai, on sera fiers malgré tout ».

Mais y croient-ils vraiment tous ceux qui se sont rassemblés là ? Côté artistes, on tente de dérider le public, d’occuper les nombreux moments de flottement. Les chanteurs se succèdent au micro pour une seule chanson et repartent avant même d’avoir pu réchauffer la foule. « Tu penses que tu vas réussir à faire bouger les gens en leur criant “Votez Macron” », ironise une des animatrices de la soirée après la performance d’un rappeur un peu plus enthousiaste que les autres. Venue avec un ami, Elisabeth, 23 ans, étudiante en japonais et chinois, reconnaît qu’elle a fini par s’y résoudre. « Après les résultats, mon premier réflexe ça a été de dire “pas question que je vote Macron”, et puis j’en suis revenue, j’irai parce qu’il faut être dans la raison, pas dans le cœur ».

Un pragmatisme résigné qui est loin de faire l’unanimité sur la place de la République. Pour Sarah, éducatrice spécialisée de 28 ans, « ce n’est pas parce que je suis ici que je voterai dimanche. Macron, c’est contre tout ce que je suis, tout ce en quoi je crois ». Et la jeune femme de déplorer que « ceux qui ont fait passer Macron au premier tour sont les traumatisés de 2002, ceux qui ont sacrifié leurs idées sur l’autel de l’utilité ». Un « serpent qui se mord la queue », selon elle.