Migrants afghans, près d’un camp, à Paris, en avril. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Dans cette étrange campagne, l’immigré aussi se retrouve propulsé à l’ère de la postvérité… Les deux mois de campagne ont fait de lui un Docteur Jekyll et Mister Hyde, simultanément « chance » et « drame » pour le pays, contributeur à la richesse nationale et poids mort dont il serait urgent de se débarrasser. Cette alliance des contraires, qui l’a transformé en clone du héros de Robert Louis Stevenson, brouille encore un peu plus son identité.

Si l’humanité, voire l’humanitaire est présent dans le programme d’Emmanuel Macron, qui plaide pour un meilleur accueil des réfugiés, c’est à bas bruit. Quant à Marine Le Pen, elle a mis un léger bémol sur sa classique assimilation de l’immigré au terroriste pour mieux dénoncer haut et fort le profiteur venu usurper les aides sociales, le système éducatif ou médical et prendre le travail des Français.

L’immense majorité des travaux de recherche convergent pourtant vers la conclusion que « la contribution des immigrés à l’économie de leur pays d’accueil est supérieure à ce qu’ils reçoivent en termes de prestations sociales ou de dépenses publiques », comme le résume Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais cela n’empêche pas Mme Le Pen de voir le sujet bien différemment.

La candidate frontiste a surtout ressorti de façon récurrente le milliard d’euros de l’aide médicale d’Etat (AME) qu’elle veut supprimer. Somme symbolique qui paraît d’autant plus énorme qu’elle la livre brut, sans la mettre en lien avec les 190 milliards d’euros du budget de la Sécurité sociale, ou en oubliant de rappeler qu’une bonne partie des sans papiers qui utilisent cette AME, travaillent sous une autre identité, ce qui fait d’eux des contributeurs sans droits… Quand, en plus, Mme Le Pen ajoute qu’il y a urgence à limiter le solde migratoire annuel à 10 000 « parce que nous avons 7 millions de chômeurs, parce que nous avons 9 millions de pauvres », elle ne dit pas - parce qu’aucune étude ne le montre - mais suggère que l’étranger vole l’emploi du Français. Qui après cela irait croire Jean-Christophe Dumont lorsqu’il rappelle, fort de ses dizaines d’analyses, que « non… les migrants ne prennent pas le travail des nationaux parce que leur offre de travail est le plus souvent complémentaire et qu’ils n’apportent pas seulement leur force de travail mais aussi leur demande ». La longue liste des travaux de l’OCDE sur le sujet, en France et ailleurs, montre en effet que le migrant comme toute autre personne représente un potentiel capital humain qu’un Etat peut développer… ou non.

Situation pré-explosive à Calais et à Paris

En fait, la vraie question qui aurait dû sortir d’une campagne qui choisissait d’aborder l’immigré sous son aspect économique a été posée dans les colonnes du Monde le 19 avril par Ian Goldin, professeur à Oxford et Jonathan Woetzel, directeur du McKinsey Global Institute, auteurs d’une analyse sur le surcroît de richesse planétaire (+7 000 milliards de dollars) créée par la migration des années 2015-2016. Ces chercheurs se demandaient simplement « si nous préférons créer des populations de migrants isolées, révoltées et dépendantes, ou plutôt faire d’eux un puissant moteur de croissance et de dynamisme ». Leur interrogation n’a pas été au cœur de cette campagne et l’intégration, qui est un des vrais défis de la France de 2017, n’a pas été discutée dans le débat de jeudi 3 mai.

Dans son programme, le candidat d’En Marche ! prend en compte cette question, en mettant l’accent sur l’intégration des nouveaux venus, au point de conditionner même l’obtention d’une carte de séjour de dix ans à un certain niveau de langue. Ce qui ne se faisait pas jusqu’alors. En théorie, Emmanuel Macron souhaite aussi positionner la France dans la guerre des cerveaux et des talents en simplifiant l’obtention du premier emploi des étudiants étrangers, en facilitant la délivrance des « passeports talent », cette invention de Nicolas Sarkozy pour attirer une « immigration haut de gamme ». La trouvaille plafonne toujours à 220 visas annuels, quand ses créateurs rêvaient de dix fois plus. Le chantier n’est pas gagné et en attendant, le futur président devra gérer quelques migrants non choisis.

En quittant l’Elysée, François Hollande laissera en cadeau de bienvenue à son successeur une situation pré-explosive à Calais et à Paris, des mineurs étrangers qui errent dans les rues d’une dizaine de villes de France et un hébergement insuffisant des demandeurs d’asile. Autant d’urgences que la campagne a oublié et que les candidats n’ont pas mises à leur agenda.