Elle en mettrait sa « main à couper ». Si elle disait qu’elle vote Marine Le Pen, plus grand monde ne lui adresserait la parole en salle des profs. Il n’y a qu’à voir la réaction indignée qu’ont eue certains, l’autre jour, lorsqu’un numéro de Valeurs actuelles y traînait. « Le vote FN se démocratise mais dans certains milieux, ça ne passe toujours pas », constate la jeune certifiée d’histoire-géographie, voix douce. Elle a 29 ans, la silhouette gracile, les yeux discrètement maquillés, des Converse aux pieds. Et des idées bien arrêtées.

Elizabeth (le prénom a été modifié) n’a pas toujours voté pour le parti d’extrême droite. En 2007, elle donnait son premier bulletin à Ségolène Royal. Son cheminement s’est fait ces cinq dernières années, tandis qu’elle commençait à enseigner. « Les dysfonctionnements du système scolaire, comme ceux de la société », l’ont « frappée », raconte la jeune femme. Elle n’est pourtant « pas à plaindre », elle le reconnaît : elle enseigne dans « un bon collège » public de l’académie de Créteil, élèves issus de milieux plutôt favorisés. Il n’empêche. Les élèves, assure-t-elle, « ne savent plus écrire, confondent les pays et les continents, ont perdu le respect... ». « Dyslexie, dyspraxie, dysorthographie, j’en ai qui relèveraient d’instituts spécialisés », assène-t-elle d’un ton qui tranche avec la manière délicate dont elle sirote son thé.

Dans sa famille, tout le monde vote Le Pen

Sa « conversion » est aussi le fruit de discussions en famille et de lectures conseillées par son père, comme celles de Renaud Camus et d’Alain de Benoist, écrivain et intellectuel proches de l’extrême droite. Dans sa famille, tout le monde vote Le Pen. Son père, prof lui aussi, sa mère, infirmière, son frère, psychologue. Tous fonctionnaires. Alors ça l’agace quand des amis lui rétorquent que « les gens cultivés ne devraient pas voter FN ». L’autre jour, à un dîner, elle a osé faire part de ses idées, « pour une fois ». C’était à propos des musulmans, dont elle estime « le modèle de société incompatible avec notre civilisation ». La réaction fut vive, le malaise aussi. « La discussion n’est pas possible, déplore Elizabeth. On est tout de suite taxé d’intolérance et de racisme. »

Implanter le parti dans le milieu enseignant

Ce qu’elle pense, elle le garde donc pour sa famille et son compagnon. Et pour les réunions du collectif Racine, auquel elle a adhéré il y a un an – et par l’intermédiaire duquel nous l’avons rencontrée. Destiné à tenter d’implanter le parti dans le milieu enseignant – qui lui a toujours été hostile –, et à l’origine de propositions qui ont nourri le programme éducatif de Marine Le Pen, ce collectif de profs proche du FN revendique un millier d’adhérents. Un chiffre modeste, à l’échelle des 850 000 enseignants en France.

Si le FN demeure « très minoritaire » parmi les profs, selon Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof, les intentions de vote y progressent toutefois doucement : ils étaient 3,5 % à voter pour ce parti en 2012 ; 6 % à 7 % à déclarer vouloir voter pour lui avant le premier tour, et plus de 16 % pour le second.

Pour Elizabeth, ces réunions sont « une bulle d’air ». Des moments où elle peut échanger « sans peur d’être jugée » avec des profs qui partagent la même vision de l’école. Une école qui « reviendrait aux fondamentaux » après « des décennies de réformes destructrices » : priorité au lire-écrire-compter et aux heures de français en primaire, retour à une transmission verticale, à des méthodes « classiques » – géographie sur des cartes, histoire sur des frises... –, à l’autorité, au mérite, avec instauration de l’uniforme... Une école qui mettrait fin au collège unique, « qui sous couvert d’égalité, nivelle par le bas et pousse à la médiocrité », pense Elizabeth. Elle lui préférerait un collège qui oriente au plus tôt certains vers des voies professionnelles, « manière aussi de revaloriser ces filières », juge-t-elle.

Elle donnerait plus de place à l’histoire de France

Si elle pouvait réécrire les programmes, elle donnerait « moins de place aux langues, plus au français ». Et « bien plus à l’histoire de France, plutôt qu’à d’autres civilisations, comme l’islam et la Chine des Han ». Elle montre le sommaire du manuel de 5e : « Voyez, on a quatre chapitres sur neuf qui ne portent pas sur la France en tant que telle. » En 3e, elle passerait « moins de temps sur la construction européenne ». Et ne voit « pas d’intérêt à consacrer un chapitre à l’histoire des femmes ».

Ça l’ennuie aussi que, selon elle, ses élèves « en sachent plus sur l’islam que sur le christianisme ». « L’un d’eux m’a quand même demandé : “Madame, c’est quoi Christ ?” », raconte-t-elle, « choquée » que « ça ne leur évoque rien ». Lorsque, après les attentats, un élève a pris la parole pour dire « que l’islam est une religion de paix et de tolérance », l’enseignante lui a répondu « que ça dépendait des sourates du Coran qu’on choisissait ». Il n’a rien répondu.

« C’est volontairement orienté vers le multiculturalisme, la soi-disant tolérance à outrance »

Surtout, Elizabeth supprimerait le nouvel enseignement moral et civique (EMC), mis en place en 2015. Ou n’en garderait que le volet civique. Une discipline qui prouve selon elle « que les programmes sont une manière de passer de la propagande ». Elle montre un chapitre intitulé Avoir une identité. Il s’appuie sur l’exemple du chanteur anglo-libanais Mika et évoque ses origines, son homosexualité, ses difficultés scolaires… « Quel beau modèle, n’est-ce pas?, s’exclame-t-elle, ironique. Je suis là pour former de futurs citoyens français. Là on prend un personnage qui a une double-nationalité, donc pas d’identité nationale. C’est volontairement orienté vers le multiculturalisme, la soi-disant tolérance à outrance » Cette matière qui relève selon elle « de l’idéologie », elle refuse de l’enseigner – « une forme de résistance », estime-t-elle. Sauf aux 3e, « parce qu’ils ont le brevet ».

Au soir du premier tour de la présidentielle, elle n’a pas eu le temps de se réjouir du score historique de Marine Le Pen. Car celui qui lui fait face incarne, pour elle, « le pire des scénarios ».

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