Lallab, le nouveau visage du féminisme musulman
Lallab, le nouveau visage du féminisme musulman
Par Ghalia Kadiri (contributrice Le Monde Afrique)
L’association fondée en 2016 revendique pour les femmes le droit de porter le voile sans être stigmatisées et considérées comme des « victimes passives ».
N’allez pas demander à Sarah Zouak si féminisme et islam sont compatibles. La question l’exaspère, comme tous ces préjugés véhiculés sur les femmes musulmanes. « Si ce ne sont pas les médias, ce sont les politiques qui nous stigmatisent. Ils prennent la parole à notre place et souvent, c’est pour dire n’importe quoi », s’agace la Française de 27 ans. Elle qui se dit musulmane, féministe et libre, a cofondé il y a un an Lallab, une association et un magazine en ligne, pour donner une tribune à celles qui allient à la fois islam et combat pour l’émancipation des femmes. « Sans qu’il y ait de contradiction », insiste la jeune femme. Un an plus tard, Lallab – contraction de lalla (« madame » en arabe) et laboratoire – compte plus de 200 bénévoles partout en France et organise des ateliers de sensibilisation dans les lycées pour déconstruire les préjugés.
Pour souffler sa première bougie, l’association a organisé un festival féministe, samedi 6 mai, à La Bellevilloise, dans le 20e arrondissement de Paris. Tout au long de cet après-midi placé sous le thème de la sororité, des militantes féministes et antiracistes sont venues défendre la lutte contre le cybersexisme, l’islamophobie, les propos sexistes et le harcèlement à travers des tables rondes, des chants, des expositions et des récitations de poème. « Déjà que les femmes subissent le sexisme, les musulmanes sont en plus victimes de racisme », rappelle Sarah Zouak sur scène.
Près de 500 personnes ont assisté au festival : des femmes, voilées ou non, des hommes, des enfants. Un succès remarquable pour ce nouveau-né du féminisme. « Nous sommes obligés de fermer les inscriptions tellement il y a de monde », indique la cofondatrice, visiblement émue. Ici, liberté est le mot d’ordre. Le public peut commander des boissons alcoolisées au bar ou faire leur prière dans une salle aménagée pour l’occasion. « Enfin un espace où l’on peut se sentir à la fois fier d’être français et libre d’être musulman ! », se réjouit Mahdi, un Franco-Tunisien de 24 ans venu soutenir l’initiative.
« Choisir entre les deux »
L’idée est née en 2014, lorsque Sarah Zouak, alors étudiante en master à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), veut faire son mémoire sur les féministes musulmanes. « Ma directrice de mémoire, pourtant spécialiste du droit des femmes, m’a dit qu’il fallait choisir entre les deux. J’ai décidé de lui prouver le contraire », raconte la jeune femme. Elle entame alors un voyage de cinq mois dans cinq pays musulmans (Maroc, Tunisie, Turquie, Iran et Indonésie) à la rencontre de vingt-cinq musulmanes œuvrant pour l’émancipation des femmes. Le projet, intitulé « Women sensetour in muslim countries », donne lieu à un documentaire en cinq épisodes et soixante projections à travers la France. « Au cours de mon voyage, j’ai compris que je ne devais pas m’arrêter là », ajoute Sarah Zouak.
D’origine marocaine, elle a grandi à Ivry-sur-Seine avant d’intégrer les classes préparatoires à Paris. « Toute ma vie, on m’a fait croire que j’étais une exception parce que j’étais une musulmane émancipée. Comme si c’était rare, regrette-t-elle. C’est un malaise qui grandit avec les médias qui nous représentent constamment comme des femmes soumises, oppressées, victimes et passives. » Française, marocaine, musulmane et féministe, elle s’est toujours sentie tiraillée entre ses multiples identités. « J’avais l’impression que, selon les situations, je ne devais porter qu’une seule casquette à la fois. »
Face à l’ampleur des débats soulevés par la thématique des femmes musulmanes en France, elle décide de créer Lallab avec son amie Justine Devillaine. Cette dernière, féministe et athée, se dit déçue par « un féminisme mainstream qui exclut beaucoup trop de femmes ». Mais les débuts sont difficiles. « Quand on parle de femmes musulmanes, on ne se bouscule pas pour vous aider », se souvient Justine Devillaine, 26 ans. « Une banque a même refusé de nous ouvrir un compte. Nous avons fait appel à un défenseur des droits pour nous donner raison », renchérit son associée.
Depuis son lancement, l’association fait beaucoup parler d’elle. Une des bénévoles de Lallab, Attika Trabelsi, avait fait une apparition remarquée sur le plateau de France 2 en janvier 2017, où elle avait confronté Manuel Valls sur ses propos sur le voile comme étant « un asservissement de la femme » : « Je suis entrepreneure, diplômée de l’Ecole normale supérieure et je porte le voile par choix », avait-elle rétorqué.
Valls vs Attika Trabelsi "Débat sur le port du voile"
Reste à affronter les menaces quotidiennes de leurs détracteurs. « Nous recevons tous les jours sur Twitter des photos de femmes musulmanes brûlées », soupire Sarah Zouak. Des trolls qui vont jusqu’à les accuser d’être liées aux Frères musulmans.