Présidentielle 2017 : « L’explosion du vote blanc ou nul est spectaculaire »
Présidentielle 2017 : « L’explosion du vote blanc ou nul est spectaculaire »
Propos recueillis par Frédéric Lemaître
Deux chercheurs en science politique reviennent sur l’abstention et la multiplication des votes blancs et nuls ; un phénomène pas suffisamment pris en compte, selon eux.
À quoi sert le vote blanc ?
Durée : 03:53
Le second tour de l’élection présidentielle, dimanche 7 mai, qui a vu la victoire d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, a été marqué à la fois par une forte abstention (12 millions d’électeurs inscrits) et par un grand nombre de votes blancs et nuls (4 millions). Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) et Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l’université de Montpellier (Hérault), analysent ces chiffres.
Avez-vous été surpris par les forts taux d’abstention et l’importance des votes blancs et nuls ?
Céline Braconnier. Le taux d’abstention, de 25,4 %, n’est pas surprenant. Même si l’abstention a progressé de trois points entre les deux tours, elle n’a pas explosé. Les votants sont restés les votants. Certes, il n’y a pas eu de front républicain comparable au second tour de la présidentielle de 2002, mais il n’y a pas eu non plus de décrochage massif par rapport au premier tour. De plus, le recul du taux de participation au scrutin est assez homogène sur tout le territoire.
Ce qui est spectaculaire, c’est l’explosion du vote blanc ou nul. Il a été multiplié par plus de quatre entre les deux tours et a pulvérisé le précédent record de 1969 : 6,4 % au second de la présidentielle en 1969, 11,5 % cette fois-ci.
Jean-Yves Dormagen. Cela montre que contrairement à ce que beaucoup affirment, quand les électeurs veulent manifester leur rejet de l’offre qui leur est faite, ils préfèrent voter blanc ou nul que s’abstenir. Nous n’avons jamais cru à l’abstention protestataire et ce scrutin confirme notre analyse. L’abstention est avant tout le produit de forts déterminants sociaux. L’abstention politique existe mais a bien moins d’importance qu’on le dit souvent.
Qui sont les abstentionnistes ?
J.-Y. D. Pour cette élection, nous le saurons à l’automne quand l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques] publiera son enquête réalisée auprès de 40 000 électeurs. Si l’on se fie à l’étude de la présidentielle de 2012, vous avez, à un bout du spectre, l’homme, diplômé du supérieur, qui a entre 65 ans et 70 ans et qui a 98 % de chances d’aller voter et à l’autre bout du spectre, la jeune femme de 18 ans à 24 ans qui est ouvrière et non diplômée et qui, dans 33 % des cas, ne va pas voter.
C. B. Alors que l’Observatoire national des politiques de la ville montre que les inégalités sociales explosent dans les quartiers aidés, ce phénomène se répercute dans le décrochage de la participation. Depuis 2007, l’écart ne cesse de croître entre ces quartiers et le reste du pays. En 2007, il y avait cinq points d’écart entre la participation des villes où on vote le moins (Saint-Denis, Bobigny, Stains, Forbach, Vaulx-en-Velin, etc.) et celles où on vote le plus (Neuilly, les arrondissements du centre de Paris, Ville-d’Avray, etc.). Cet écart est passé à dix points en 2012 et à vingt points en 2017.
Cela est sans doute dû à la fois à une surmobilisation des CSP + [catégories socioprofessionnelles aisées] au premier tour pour éviter un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, mais aussi à une baisse de la participation dans les villes les plus modestes. Concernant la mobilisation des plus aisés, on le voit avec, par exemple, l’importance du vote par procuration, qui peut atteindre 15 % dans le 3e arrondissement de Paris, alors que c’est marginal en Seine-Saint-Denis.
En fait, il y a sans doute une corrélation entre le prix du mètre carré et la participation électorale. Un phénomène auquel il faut ajouter la mal-inscription, qui peut atteindre 20 % des inscrits à Saint-Denis.
Ce phénomène est-il propre à la présidentielle ?
J.-Y. D. Non. En fait, 90 % des électeurs votent à l’un des deux tours de la présidentielle. Si vous retirez les 500 000 doubles inscrits, les personnes très âgées qui ne se déplacent que très difficilement et les gens empêchés de voter comme les mal inscrits, moins de 5 % de l’électorat en mesure de voter ne vote pas. Aux élections législatives, la participation peut être de 40 % inférieure à la présidentielle.
Jusqu’à présent, la participation aux législatives est quasiment toujours inférieure à l’élection législative précédente. Mais comme l’enjeu est cette fois très important, tout pronostic est hasardeux. Quant aux élections régionales, sachez qu’aux Cosmonautes, la cité de Saint-Denis que nous suivons depuis des années, personne n’a été capable de nous donner le nom de la présidente du conseil régional d’Ile-de-France.
Sait-on qui a voté blanc ou nul ?
C. B. Il est trop tôt pour le dire, mais il s’agit sans doute davantage d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon que de ceux de François Fillon. Depuis la réforme de 2014, on compte les bulletins blancs mais on ne les prend pas en compte dans les suffrages valablement exprimés. Voter blanc est un acte d’autant plus fort qu’il n’y a pas de bulletin blanc proposé aux électeurs. Ceux-ci doivent glisser une enveloppe vide dans l’urne. Il faut y penser.
Et l’on continue de ne pas prendre en compte les bulletins nuls alors qu’il suffit d’assister à un dépouillement pour comprendre que ceux-ci constituent de véritables messages. Vous avez par exemple un bulletin de vote accompagné d’un drapeau palestinien ou un bulletin de vote déchiré en deux.
On fait semblant de croire que le vote blanc est politique et que le vote nul résulte d’un problème technique. C’est faux. Entre les deux tours, le nombre de bulletins nuls est passé de 285 431 à 1 049 532. Qui peut croire que tant d’électeurs ont commis une « erreur technique » au second tour, alors qu’ils ne l’ont pas commise au premier ?
M. Mélenchon qualifie Emmanuel Macron de « président minoritaire » en raison de l’importance de l’abstention et des votes blancs et nuls. Qu’en pensez-vous ?
J.-Y. D. Cela relève du débat électoral. Ce qui est certain, c’est que la légitimité d’Emmanuel Macron, si l’on prend en compte les abstentionnistes, les votes blancs et nuls et les électeurs désenchantés qui ont surtout voulu s’opposer au Front national, est faible.
A Saint-Denis, nous avons rencontré des électeurs qui ont voté pour lui tout en étant persuadés que leur situation allait empirer s’il était élu. Mais c’était un moindre mal par rapport à Marine Le Pen.
Les gens sont véritablement à 100 euros près par mois. La concurrence accrue sur le marché du travail ou la remise en cause d’aides au logement les inquiètent. Ils sont d’ailleurs attirés par le côté protecteur du discours du Front national. Jusqu’à présent, c’est le côté raciste de ce parti qui les empêche encore de voter pour lui.