A Washington, le chef de la diplomatie russe tente de renouer avec les Etats-Unis
A Washington, le chef de la diplomatie russe tente de renouer avec les Etats-Unis
Par Gilles Paris (Washington, correspondant), Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Sergueï Lavrov a rencontré mercredi son homologue Rex Tillerson et surtout le président Donald Trump. Il n’avait pas été reçu à Washington depuis août 2013.
Les premières photos de Donald Trump et du ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov ont été diffusées par les autorités russes. | MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES RUSSE/ AFP
Sergueï Lavrov n’avait pas été reçu à Washington depuis août 2013. Autant dire une éternité à l’aune des relations complexes mais inévitables que doivent entretenir les Etats-Unis et la Russie. Les dossiers ukrainien et syrien ont éloigné les deux capitales pendant le second mandat de Barack Obama, mais la Syrie pourrait procurer aujourd’hui une opportunité de rapprochement. C’est en tout cas le pari du ministre des affaires étrangères russe, qui a rencontré mercredi 10 mai son homologue Rex Tillerson et surtout le président Donald Trump. Il s’agissait pour ce dernier d’une première avec un haut responsable russe.
Malgré la prudence observée jusqu’ici par Washington à propos des « zones de désescalade » en Syrie négociées le 4 mai à Astana, la capitale du Kazakhstan promue chef-lieu des négociations menées par la Russie sur la Syrie, en parallèle aux pourparlers de Genève, M. Lavrov s’est félicité du fait que « les Etats-Unis ont salué les résultats obtenus » dans un entretien enregistré à l’avance diffusé sur la chaîne de télévision russe Mir, le soir même de sa réception à la Maison Blanche. « Le président Trump a été informé en détail par le président Poutine, à la veille de la rencontre à Astana, sur la façon dont nous voyons la suite des événements », a-t-il souligné.
M. Trump a souvent plaidé pour la création de « safe zones » en Syrie, notamment pour contenir le flux de réfugiés. La priorité qu’il a assignée à la lutte contre l’organisation Etat islamique est également vue d’un bon œil par Moscou. Le chef du Kremlin, qui a réuni son conseil de sécurité mercredi pour évoquer les relations avec les Etats-Unis, s’est entretenu par téléphone à trois reprises depuis l’investiture de son homologue américain, en janvier. Lors du dernier échange en date, le 2 mai, M. Poutine a mis en avant « une future coordination des actions [communes] pour combattre le terrorisme international dans le cadre du conflit en Syrie ».
Sortir de l’isolement
Quoique échaudé par le tir, le 6 avril, de missiles de croisière américains contre une base de l’armée syrienne en réaction à un bombardement chimique attribué au régime de Damas, le chef de l’Etat russe tient plus que tout à arracher cette « coordination », qui lui permettrait de sortir de son isolement sur la question syrienne et de traiter « d’égal à égal ».
Après cette première visite de M. Lavrov à Washington, sollicitée par M. Poutine, Moscou attend avec impatience la première rencontre entre les présidents russe et américain prévue en marge du sommet du G20 à Hambourg, début juillet. Une entrevue hautement stratégique pour le Kremlin. « La Russie et les Etats-Unis ont une si forte influence sur la sécurité et la stabilité que nous attendons d’une telle rencontre des résultats concrets, a souligné M. Lavrov, il faut bien la préparer et c’est ce que nous sommes en train de faire. »
Son entrevue en tête à tête avec M. Trump, à huis clos, a été abondamment relayée par les agences russes, sa durée aussi : 40 minutes. Les premières photos ont été également diffusées par la partie russe qui disposait d’un photographe dans le bureau Ovale alors que les médias américains n’y avaient pas été conviés.
La teneur des propos de M. Trump pendant l’entretien, selon la Maison Blanche, a cependant mis en évidence des divergences persistantes. Le président des États-Unis a en effet « souligné la nécessité pour la Russie de contenir le régime [de Bachar Al-] Assad, l’Iran et de tous les groupes que ce pays soutient ». Après avoir laissé penser que Washington était prêt à se résigner au maintien au pouvoir du président syrien, l’attaque chimique a ravivé pour les Etats-Unis la conviction que son départ est inévitable pour le succès d’une solution politique.
Washington opère par ailleurs un rapprochement avec les pays sunnites de la région. Il va être illustré dans dix jours par le déplacement à Riyad de M. Trump, première étape de sa première tournée à l’étranger. Ce rapprochement se fait aux dépens de l’Iran, désigné régulièrement par la nouvelle administration américaine comme un fauteur de troubles au Moyen Orient.
L’Ukraine, obstacle de taille
L’Ukraine constitue un autre obstacle de taille pour une amélioration des relations bilatérales, plus délicat encore. « Nous avons soutenu les habitants du sud de l’Ukraine et de la Crimée qui ont refusé de reconnaître les résultats d’un coup d’Etat, et quand ils ont refusé de le faire, les nouvelles autorités putschistes ont organisé contre leur propre peuple une guerre », a justifié M. Lavrov, se disant « très inquiet sur l’application des accords de Minsk, principalement à cause des sabotages des autorités » de Kiev. M. Trump comme M. Tillerson, ont insisté de leur côté mercredi sur « la responsabilité russe dans l’application totale » de ces accords.
La visite de M. Lavrov a coïncidé avec le limogeage du directeur de la police fédérale, James Comey. Ce dernier supervisait une enquête consacrée à une possible collusion entre des membres de l’équipe de campagne de M. Trump, en 2016, et les auteurs de piratages informatiques dont avait été victime la candidate démocrate, Hillary Clinton.
Cette nouvelle a suscité la surprise, probablement feinte, de M. Lavrov à son arrivée à la Maison Blanche. Elle a été évacuée par le président russe, interrogé alors qu’il disputait une rencontre de hockey sur glace à Sotchi. « Nous n’avons aucun lien avec cela. M. Trump agit dans le cadre de ses prérogatives, de sa Constitution, de ses lois. Nous n’y sommes pour rien, a assuré M. Poutine. Et vous voyez, nous avons l’intention de jouer au hockey entre amateurs. »
L’éviction de M. Comey, qui avait accusé la Russie d’ingérence dans la campagne présidentielle américaine, avec d’autres responsables du renseignement, en a cependant réjoui plus d’un à Moscou. « Le directeur [du FBI] a été étonné par la décision de son départ. Il a suivi avec tant de zèle la “menace russe” qu’il n’est pas parvenu à repérer la menace de son licenciement », a ainsi raillé le sénateur Alexeï Pouchkov sur son compte Twitter.