Marine Le Pen, le 7 mai 2017, au bois de Vincennes. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Bernard a voté Front national (FN). Le Parisien, dont le prénom a été modifié, a choisi le parti d’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle. « Pour la première… et sans doute la dernière fois ! », tient-il à préciser. Ce cadre de 44 ans n’est pas le seul à avoir fait partie, dimanche 7 mai, des primoélecteurs frontistes. Beaucoup d’autres, contactés ensuite au téléphone, ont réagi à l’appel à témoignages lancé par Le Monde et expliquent pourquoi ils ont choisi d’apporter leur voix à Marine Le Pen – qui a réuni 33,9 % des voix – plutôt qu’à Emmanuel Macron (66,10 %).

Pour ce qui le concerne, Bernard, « ancien chiraquien », dit avoir « hésité jusque dans le bureau de vote ». Avant de se décider, mû par « une espèce de basse vengeance, un vote un peu défouloir », dit-il. Le cadre commercial se dit « dégoûté du traitement » médiatique réservé à la mise en examen de François Fillon, le candidat du parti Les Républicains, soupçonné notamment de détournement de fonds publics. « On a eu l’impression, à tort ou à raison, que tout a été fait pour le sortir de l’élection. »

« Zéro risque qu’elle soit élue »

Bernard avait voté pour M. Fillon au premier tour. Au second, il a surtout utilisé son vote FN pour éviter, dit-il, que M. Macron « ait un boulevard » et remporte l’élection avec un score similaire à celui de Jacques Chirac (82 %) contre Jean-Marie Le Pen, en 2002. Il insiste : « Je ne voulais absolument pas que Marine Le Pen soit élue. Son programme est dangereux, il aurait monté les gens les uns contre les autres. »

« Il y avait zéro risque qu’elle soit élue, il suffisait de regarder les sondages, il suffisait de voir comme elle a été pitoyable aux débats. »

Le quadragénaire a regretté « l’hystérie de l’entre-deux-tours », trouvant cela « un peu grotesque ». Son bulletin FN, il a toutefois préféré le cacher à certains proches. « Je n’ai pas envie de les décevoir et de me brouiller avec eux. Je connais des gens autour de moi qui n’auraient pas compris, qui n’auraient pas accepté. Donc, à ceux-là, je leur dis que j’ai voté blanc. »

Par leur vote Marine Le Pen, d’autres électeurs traditionnels du parti Les Républicains ont voulu « passer un message à Macron », comme l’explique Alexandre Rungaldier, 70 ans, ancien directeur d’une société. Dit autrement : « Attention, parce qu’on veut une France indépendante. » Pour cet habitant du Chesnay, dans les Yvelines, Mme Le Pen défend les « notions de patrie, de nation ». A l’inverse des propositions antimigratoires du FN, M. Macron lui semble « trop laxiste, trop mou ».

Pierre, professeur de musique au collège, se dit lui aussi « indigné » du traitement de l’affaire Fillon. Cet enseignant, qui demande l’anonymat, a voulu dénoncer par cette voix frontiste « une machination qui a conduit aux résultats du premier tour » et dont M. Macron « [lui] paraissait être le bénéficiaire ». De son propre aveu, ce Parisien reconnaît qu’il a voté d’autant plus facilement qu’il se reconnaît dans « un certain nombre de choses » dans le programme frontiste.

« Jean-Marie Le Pen avait un côté dissuasif »

« Même s’[il n’y croyait] pas trop », ce catholique espérait que la fille de Jean-Marie Le Pen serait en situation d’appliquer quelques-unes de ses promesses : l’abrogation de la loi Taubira permettant le mariage de couples homosexuels ou encore l’idée d’un moratoire censé, d’après lui, « lever le pied et rationaliser les flux migratoires ».

Jusque-là Pierre n’avait jamais franchi le pas allant de la droite à l’extrême droite. En cause, avance-t-il, la personnalité de Jean-Marie Le Pen : « M. Le Pen pouvait être sympathique, mais il avait un côté dissuasif à chaque fois qu’il parlait, il avait un discours très transgressif, avec ces histoires de chambres à gaz ou je sais pas quoi, il voulait choquer. » Selon lui, cet aspect-là a disparu chez sa fille.

Le vote FN d’Hugues (son prénom a également été modifié) est d’autant plus surprenant que cet autre Parisien avait voté à gauche au premier tour. Pour Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise. Responsable d’un centre de documentation et d’information dans une cité scolaire il considère lui aussi que le FN a changé. Il a voulu voter Le Pen pour « être avec cette France périphérique plutôt qu’avec l’autre France, celle plus nantie ».

Affiches électorales, à Saint-Hilaire-Peyroux (Corrèze), le 7 mai 2017. | GEORGES GOBET / AFP

« Une image caricaturale (…) un peu rapide »

Hugues travaille dans le très cossu 16arrondissement de Paris. Et il en a marre de « toutes les leçons de morale entendues à droite et à gauche qui témoignent d’un peu de mépris pour les gens qui votent Le Pen ».

« Je ne pense pas qu’il y ait en France presque 35 % de nazis, de fascistes. L’émission “Quotidien” montre des skins, des types bas du front, des racistes dégénérés, pour donner une image caricaturale du FN. Je trouve ça un peu rapide. »

De son propre aveu, Hugues « [aurait] reconsidéré un peu sa position » et davantage réfléchi si M. Mélenchon avait prononcé un appel explicite à voter pour M. Macron. Mais le candidat de La France insoumise « a laissé les gens libres », rappelle l’électeur, qui avait voté pour Jean-Pierre Chevènement au premier tour de 2002, puis pour Jacques Chirac au second tour pour battre M. Le Pen.

Voter contre le père il y a quinze ans. Puis voter pour la fille aujourd’hui… cet électeur estime que le FN s’éloigne de plus en plus de l’extrême droite pour davantage ressembler à « la droite des années [19]70 ». « Une droite bonapartiste avec un certain côté social », précise Hughes.

« Barrage » contre Emmanuel Macron

Léa Monney, 20 ans, a également voté pour M. Mélenchon au premier tour. Puis pour Mme Le Pen au second, bien que le programme du FN n’ait « rien à voir » avec celui de La France insoumise, tient d’emblée à préciser cette étudiante en deuxième année d’anglais-espagnol, qui se dit « à l’opposé » du programme frontiste et explique son raisonnement :

« Je me suis dit : si elle passe, ça va être le chaos total pendant cinq ans, et au moins après on en sera débarrassé, au moins après on pourra repartir sur de bonnes bases. »

Et d’ajouter, comme si elle avait intimé un défi à Marine Le Pen, avec l’espoir qu’elle échoue :

« Tu veux y aller [au pouvoir], bah vas-y…. Et après, qu’on n’en parle plus ! »

Pour cette Avignonnaise, membre de La France insoumise, il était impensable de voter pour M. Macron. Un candidat « dans la continuité pure du système capitaliste qui ne marche pas depuis des années », selon elle.

Aux législatives, ces électeurs comptent s’éloigner du FN. Les uns envisagent de voter à nouveau pour le parti qu’ils avaient choisi au premier tour de la présidentielle, Les Républicains pour les uns ; la France insoumise pour les autres. Seul l’un d’eux avoue, désormais, se poser encore la question : Pierre, le professeur de musique au collège, doit encore trancher. Le soutien de M. Fillon à M. Macron au second tour de la présidentielle l’a échaudé. Résultat : « Entre LR et le FN, on va voir », reconnaît-il.