Pour la ministre allemande de la défense, l’heure de la contre-offensive a sonné. Fragilisée par une série d’affaires qui ont entaché la réputation de la Bundeswehr, Ursula von der Leyen a annoncé, mercredi 10 mai, un ensemble de mesures visant à prémunir celle-ci de nouveaux scandales.

La principale annonce concerne la « directive sur les traditions » (« Traditionerlass »), autrement dit le code qui définit les valeurs de l’armée allemande, les rituels et les symboles qui y sont autorisés. Mme von der Leyen souhaite que cette directive, dont la dernière version date de 1982, soit révisée car, a-t-elle affirmé, « elle laisse des portes ouvertes » à de possibles dérives, en l’occurrence à la présence au sein des casernes allemandes d’objets ou d’insignes de la Wehrmacht.

Cette décision est la conséquence directe de l’arrestation de Franco Albrecht, du nom de ce lieutenant de 28 ans appartenant à la Brigade franco-allemande basée à Illkirch (Bas-Rhin), et soupçonné d’avoir voulu perpétrer une série d’attentats contre des personnalités politiques de premier plan en se faisant passer pour un faux réfugié syrien.

Dans sa chambre ont été découverts une affiche représentant un soldat de la Wehrmacht ainsi qu’un fusil d’assaut datant de la seconde guerre mondiale, sur le canon duquel était gravée une croix gammée. Il a par ailleurs été révélé que, quand il était élève officier à Saint-Cyr, le jeune homme avait été signalé à la hiérarchie militaire allemande en raison de ses opinions ultranationalistes et xénophobes. Sans qu’aucune sanction soit prise.

Améliorer la formation civique

Alors que l’enquête visant Franco Albrecht a permis d’identifier et d’arrêter deux de ses complices présumés, qui seraient eux aussi des nostalgiques du IIIe Reich, Mme von der Leyen a donc décidé d’apporter une réponse générale.

Outre la révision de la « directive sur les traditions », la ministre a ainsi déclaré qu’elle souhaitait que la formation civique des militaires soit améliorée, et que les sanctions contre ceux qui manifesteraient des opinions d’extrême droite ou toléreraient sous leur commandement des soldats ayant de telles opinions soient renforcées.

« Il s’agit d’un processus très large que nous allons tous devoir mener, des recrues jusqu’aux généraux », a-t-elle affirmé, tout en précisant qu’il ne s’agissait pas dans son esprit de « tout remettre en cause » dans ce qui est actuellement en vigueur.

Avec cette affaire, Mme von der Leyen, l’une des rares personnalités de la droite allemande jugées crédibles pour succéder un jour à Angela Merkel au poste de chancelière, sait que ce scandale – comme les révélations récentes de cas de harcèlement moral et sexuel dans plusieurs casernes de la Bundeswehr – peut lui coûter cher.

A moins de cinq mois des législatives du 24 septembre, la gauche, en perte de vitesse dans les sondages, semble d’ailleurs résolue à utiliser ces affaires pour fragiliser ses adversaires conservateurs en s’en prenant à l’une des figures les plus respectées du parti de Mme Merkel, l’Union chrétienne-démocrate (CDU).

Critiquée par la gauche et par l’institution militaire

Après les annonces – encore très générales – de Mme von der Leyen, les sociaux-démocrates lui ont reproché d’avoir réagi trop tard. « Chaque composante de la coalition [formant le gouvernement fédéral] est responsable de son propre personnel », a ainsi fait remarquer Rainer Arnold, le porte-parole des questions de défense au sein du groupe SPD (Parti social-démocrate) du Bundestag, sans aller pour autant jusqu’à réclamer la démission de la ministre.

De son côté, la CDU a décidé de faire bloc derrière la ministre, plusieurs de ses représentants estimant que les reproches faits à celle-ci par le SPD et les autres partis d’opposition, les écologistes et Die Linke (gauche radicale), étaient directement liés au contexte électoral.

Il n’empêche, Ursula von der Leyen sait qu’elle joue gros. Critiquée par la gauche, qui la soupçonne de négligence, elle se voit dans le même temps critiquée par l’institution militaire, qui lui reproche de se défausser sur elle en laissant entendre, ce qu’elle a fait la semaine dernière avant de se dédire un peu maladroitement, qu’il y aurait un problème général de « comportement » et de « commandement » dans la Bundeswehr.

Par ailleurs, selon un sondage YouGov cité par l’agence DPA, 52 % des Allemands estimeraient que la ministre, qui détient le portefeuille de la défense depuis 2013, n’a pas agi jusque-là avec assez de sévérité pour immuniser l’armée allemande contre ses démons du passé.