Pour le Stade français, tant qu’il y a des victoires, il y a de l’espoir
Pour le Stade français, tant qu’il y a des victoires, il y a de l’espoir
Par Adrien Pécout (Edimbourg, Ecosse)
Le club de rugby parisien, un temps menacé de fusion avec le Racing et aujourd’hui en quête d’un repreneur, a remporté vendredi son premier Challenge européen (25-17).
Les joueurs du Stade français, vendredi 12 mai, à Edimbourg. | Jane Barlow / AP
Le Stade français vit encore, et il y a même des gens qui voudraient lui parler comme s’ils s’adressaient à une personne. « Allez, Paris, tes supporteurs sont là ! » Dans la nuit d’Edimbourg, ils sont encore une trentaine à se réchauffer les cordes vocales malgré une météo que l’on qualifiera simplement d’écossaise : 9 degrés et des gouttelettes. Sont restés à attendre devant le bus de l’équipe une trentaine de fidèles, qui avec une perruque sur la tête, qui avec des drapeaux autour de la taille.
En fond sonore, tambours et klaxons pour mieux fêter le titre : vendredi 12 mai, dans un stade de Murrayfield aux gradins tristement clairsemés, les rugbymen parisiens ont remporté la finale du Challenge européen. Leur victoire courageuse (25-17) sur les Anglais de Gloucester leur offre un premier titre continental, certes moins prestigieux que la Coupe d’Europe prévue samedi avec un autre duel franco-anglais, Clermont-Saracens.
Un titre pour le Stade français, mais bien davantage encore : fêté à grand renfort de cotillons, ce Challenge européen récompense surtout un club historique qui a failli se désintégrer cette saison et dont l’avenir reste malgré tout encore incertain. « Ce qui est important, pour les supporteurs, c’est que le club ne va pas mourir », veut croire Pascal Charles, informaticien à la retraite et surtout, insiste-t-il, membre de l’association de supporteurs Les Titis de l’ovalie.
Pour épargner à ce « titi » une énumération trop douloureuse, rappelons simplement que le « Stade » a échappé de peu à une fusion avec le Racing, son voisin des Hauts-de-Seine. Le 13 mars, au nom d’intérêts sportifs et économiques, les présidents des deux tout premiers finalistes de l’histoire du championnat de France annonçaient leur intention de regrouper en un seul effectif leurs deux équipes pros. Six jours plus tard, le stadiste Thomas Savare et le racingman Jacky Lorenzetti reculaient devant l’émoi suscité.
Une reprise incertaine
Depuis, le premier nommé veut revendre le Stade français, qu’il avait lui-même racheté en 2011 dans un état de quasi-banqueroute. Aujourd’hui, le patron du groupe Oberthur Technologies est las de dépenser à perte dans un club auquel il voudrait appliquer les mêmes exigences de rentabilité que celles d’une entreprise. Voilà où en est le Stade français, le seul club à avoir remporté des championnats de France sur trois siècles différents : quatorze titres nationaux entre 1893 et 2015, auxquels s’ajoutaient jusque-là deux finales perdues en Coupe d’Europe et deux autres en Challenge européen.
En Ecosse, Thomas Savare a évité le chapiteau blanc sous lequel se tenait la conférence de presse d’après-match, préférant envoyer deux de ses joueurs face aux médias. Deux joueurs encore incertains sur l’avenir du club et ses repreneurs potentiels. « On attend de voir ce qu’il se passera dans les prochains jours », botte en touche Sergio Parisse, troisième-ligne et capitaine, crâne aussi lustré que le trophée qui l’accompagne.
A ses côtés, venu en chaussettes, l’ailier Djibril Camara porte encore short et maillot de match. « Moi, si j’avais des millions, je le sauverais ! », s’exclame-t-il à propos de son club. « Mais pour de vrai, je ne sais rien de plus. On verra dans les prochaines semaines », estime-t-il quant à lui. Patienter et, pendant ce temps-là, faire bonne figure : « La meilleure com’ qu’on a pu faire, nous, les joueurs, c’était d’être bons sur les terrains, de gagner les matchs, de gagner un titre européen. »
Ainsi va le rugby professionnel, qui place la question sportive à la remorque des contingences économiques. Le regard droit sous la visière de sa casquette, l’entraîneur Gonzalo Quesada a rendu hommage à ses joueurs. « Ils ont passé la saison sans savoir si le club serait là la saison prochaine, souligne le technicien qui, lui, a déjà prévu de rallier le Biarritz olympique à la rentrée. Ce groupe avait toutes les raisons d’exploser. On se rappellera très longtemps de ce que ce groupe de joueurs a fait, on en parlera encore pendant des années. »
La famille du Stade français
Sur Princes Street, l’une des principales artères d’Edimbourg, discussion entre six supporteurs. Tous abordent avec évidemment plus de facilité que les joueurs les rumeurs faisant état d’offres de reprise pour le Stade français. Parmi elles, celle de l’Allemand Hans-Peter Wild, qui a fait fortune dans le jus de fruit. Ou encore, autre possibilité : une coalition d’anciens joueurs (Dominici, Lombard, Marconnet) adossés à des financeurs.« J’hésite. Wild a des sous, mais il a 75 balais, s’il passe l’arme à gauche, qu’est-ce qu’on devient ? », s’interroge Marc, cinquante ans passés, cadre à la Sécurité sociale.
Tout, en tout cas, sauf cette fusion avec le Racing qui aurait absorbé l’identité du Stade français. Du moins selon Julien, la trentaine et une barbe fournie, auxiliaire de puériculture dans une crèche : « J’ai gagné des amis au stade, on se déplace en Europe, on pleure ensemble, on rigole ensemble, on se connaît tous depuis super longtemps. » Moralité : « On a créé une famille et, avec la fusion, la famille aurait disparu. » En mars, dans un XVIe arrondissement de Paris, pourtant peu habitué à de telles effusions, le groupe d’amis avait participé aux manifestations devant le stade Jean-Bouin pour empêcher le rapprochement éventuel du Racing et du Stade français.
Davantage mobilisés que ceux du Racing, les joueurs stadistes avaient également entrepris une grève, que les autres clubs ont soutenue à l’aide de brassards colorés : « Toute la France du rugby a voulu s’habiller en rose pour le Stade français, le soutien ne s’est pas porté vers le Racing. » Dans son sac, Julien tient à présent un bel objet : un kilt tout en nuances de gris qu’il compte bien porter à Paris les jours de festivités. Mais, pour l’heure, il se signale surtout en Ecosse par le port d’un chapeau rose assorti à son maillot de rugby. La couleur fétiche du club depuis que son ancien dirigeant (1992-2011), l’homme de radio Max Guazzini, en avait eu l’initiative pour faire parler du Stade français il y a maintenant deux décennies.
En contrebas du château de la ville, un couple se promène avec le même attirail. Céline et Stéphane racontent n’avoir « pas trop d’atomes crochus avec les supporteurs du Racing. Autant quand on voit des matchs avec ceux de Clermont, Pau ou encore Perpignan, on rigole ; autant ceux du Racing ne se laissent pas aborder facilement. Très froids. » Voilà qui tombe plutôt bien : dans les rues écossaises circulent à présent des « Jaunards » de Clermont, en attendant leur finale contre les Saracens.