Bleached II, de Jason deCaires Taylor (2017). | Philippe Dagen

Etrange coïncidence. A la Dogana et au Palazzo Grassi, Damien Hirst expose à grand renfort de publicité ses nouvelles pièces. Elles sont accompagnées d’une fiction genre Pirate des Caraïbes: ces sculptures sont censées avoir été découvertes au fond de la mer, vestiges du naufrage dans l’Antiquité d’un navire nommé L’Incroyable, chargé d’œuvres grecques, égyptiennes etc. Aussi sont elles recouvertes de coraux, éponges et madrépores habilement imitées en résines.

A cent mètres de la Dogana, sur les Zattere, le pavillon de l’île de Grenade occupe un espace modeste. Une salle est consacrée à Jason deCaires Taylor, lui aussi de nationalité britannique, mais dont la notoriété est nettement inférieure à celle de Hirst. Il ya là deux sculptures de jeunes filles aux corps tapissés de coraux et coquillages, assises au fond de l’eau, et des photographies qui associent des visages à d’autres coraux et coquillages. Ces œuvres, dont la plus ancienne date de 2006, sont prêtées par des musées mexicains ou caribéens.

Musée sous-marin

Si elles figuraient dans l’exposition Hirst, verrait-on la différence ? Oui, mais seulement parce que deCaires Taylor n’a pas les moyens financiers de Hirst et s’en tient à une production réduite d’œuvres de format modeste. Né en 1974, il a créé en 2006 le premier musée sous-marin de sculptures à Molinere Bay, à la Grenade, pour favoriser la reconstitution des reliefs coraliens détruits par des tempêtes en 2004 et 2005. Il recommence en 2009 au large de Cancun (Mexique) où il créée le Museo Subacuatico de Arte (MUSA) puis en 2016 à Lanzarote , dans les Canaries.

« Sphinx », de Damien Hirst. | DAMIEN HIRST AND SCIENCE LTD. ALL RIGHTS RESERVED, DACS/SIAE 2017

Les groupes qu’il immerge et qui sont vite modifiés par les algues, les concrétions et la faune marine font référence à l’actualité – les réfugiés venus d’Afrique récemment – ou aux mythologies, sirènes et autres divinités marines. Son engagement écologique, autant que la singularité de ce qu’il propose – des visites à la nage avec bouteilles et palmes – lui ont valu de nombreux reportages dans la presse internationale et particulièrement britannique.

Les bonnes idées appartiennent à tout le monde et la liste des histoires de pirates, de trésors et de naufrages dans la littérature et au cinéma est bien trop longue pour que l’on puisse prouver un lien entre les deux œuvres. Mais la comparaison entre elles est néanmoins instructive : elle confronte une superproduction exclusivement conçue pour épater le marché de l’art et les médias à une démarche qui se veut pédagogique et politique. Deux mondes, autrement dit.