Les écoles de la « french tech » s’exportent
Les écoles de la « french tech » s’exportent
Par Eric Nunès
Les écoles françaises d’ingénieurs, de code et d’informatique s’installent hors des frontières hexagonales, alors que leurs diplômés sont appréciés à l’étranger.
Ecole 42 de Frémont, en Californie. | Ecole 42
Codeurs, informaticiens et ingénieurs « made in France » s’exportent ; les écoles qui les forment également. A la rentrée 2018, l’école 42, spécialisée dans la programmation, fêtera le premier anniversaire de sa filiale californienne. Epitech, qui forme des informaticiens, inaugurera trois implantations, à Barcelone, Bruxelles et Berlin. Au même moment, c’est à Fès (Maroc) que le groupe d’écoles d’ingénieurs INSA ouvrira son premier établissement à l’étranger, tout en renforçant son partenariat avec l’université Jiao Tong de Pékin, suivant ainsi la tendance à l’œuvre dans de nombreuses écoles d’ingénieurs françaises. Cette internationalisation croissante repose sur un double constat : d’une part, les jeunes diplômés de la « french tech » sont appréciés à l’étranger ; d’autre part, ces établissements, dans un marché du travail mondialisé, se doivent de mieux préparer leurs étudiants à une éventuelle expatriation, aussi bien en termes de savoir être que de maîtrise des langues – le grand point faible des ingénieurs frenchies.
Sortir d’une école française serait un atout, à en croire leurs diplômés partis vivre l’aventure de l’expatriation. « Les ingénieurs français sont très bons », affirme Alexandre Lebrun, X-Télécom, ancien « start-upeur » californien, aujourd’hui responsable ingénierie chez Facebook. « Le savoir-faire moyen d’un ingénieur français est bien meilleur que son alter ego nord-américain », abonde Gauthier Garnier, diplômé de l’école d’ingénieurs Epita et directeur général de Kaliop, agence Web installée à Montréal (Canada).
« Des esprits très fonctionnels qui ont appris à apprendre »
« La formation aux sciences, qui sont le socle de la pédagogie en France, crée une dynamique éducationnelle ; cela permet de former des esprits très fonctionnels qui ont appris à apprendre, qui puisent dans cette culture des sciences et l’appliquent dans la plupart des défis professionnels », analyse, depuis New York, Alexandre Ponsin, cofondateur de TextMaster, une société de traduction en ligne.
Deuxième singularité française : l’apprentissage par projet connaît un succès croissant. Elle est au cœur des méthodes d’Epitech. Le principe est de dispenser l’étudiant de cours théoriques pour se concentrer sur des réalisations concrètes, et « apprendre à apprendre », résume Gauthier Garnier. La méthode, déjà reprise par 42, école de code fondée en 2013 à Paris par Xavier Niel (actionnaire à titre personnel du Monde) avec l’ancienne équipe dirigeante d’Epitech, a également été adoptée par Holberton School, école de code californienne fondée par… trois informaticiens français. Elle forge des techniciens immédiatement opérationnels. Un trésor pour les recruteurs.
Sur quelques centaines de kilomètres carrés
Pourquoi l’école 42 a-t-elle créé un campus dans la Silicon Valley ? A cette question, Kwame Yamgnane, cofondateur de l’école, s’esclaffe : « C’est un peu demander pourquoi ouvrir un séminaire au Vatican. » La filiale californienne a posé ses ordinateurs au cœur de la matrice qui depuis quarante ans invente les technologies de l’information : au bord de la baie de San Francisco, à quelques kilomètres au sud de l’université de Berkeley et à l’est de celle de Stanford. Kwame Yamgnane n’en doute pas : « L’informatique, l’émergence d’Internet, l’open source et aujourd’hui l’intelligence artificielle ont été et sont toujours, pour une grande partie, développés ici. » Sur un périmètre de quelques centaines de kilomètres carrés se concentrent universités, géants de l’Internet (Google, Facebook, LinkedIn, etc.) et des myriades de start-up.
« Pour parfaire leurs compétences, nos étudiants doivent être exposés à cet environnement », poursuit M. Yamgnane. Les apprentis informaticiens doivent physiquement baigner dans un « écosystème », confirme Fabrice Bardèche, vice-président du groupe d’enseignement supérieur Ionis, propriétaire des écoles Epitech et Epita. Les écoles s’installent au centre des terreaux favorables à l’innovation, où cohabitent en symbiose incubateurs, jeunes pousses, centres de recherche…
L’ouverture de campus au cœur des villes les plus dynamiques répond à une autre exigence dans la formation des codeurs, informaticiens et ingénieurs de demain : la mobilité. L’école 42 compte bien encourager les échanges entre ses étudiants des campus américains et français. Des dialogues, des confrontations d’idées, de cultures, qui « déboucheront sur de la valeur ajoutée, du travail encore plus intelligent », prévoit Kwame Yamgnane.
« Il est important de sortir de sa zone de confort »
Les professionnels confirment : « Se confronter à un environnement différent est bénéfique, on capte les points forts de la culture qu’on découvre, et on conserve les siens », témoigne Alexandre Lebrun. « Pour progresser Il est important de sortir de sa zone de confort. Il n’y a pas de réponse unique à chaque problème. L’empathie, c’est comprendre l’autre et ses enjeux. Ce n’est pas réfléchir seulement à son petit marché intérieur mais au maximum d’usagers possibles », ajoute Gauthier Garnier.
Désireuses de ne pas rater le train de la mobilité ni celui de la mondialisation, les écoles s’évertuent à constituer un cursus intégrant de longues périodes à l’étranger et à intégrer dans leur campus national une forte part d’étudiants étrangers. « Une expérience à l’international, c’est sortir de son cadre de confort, rechercher l’innovation », souligne Jean Marie Castelain, vice-président international du Groupe INSA, dont 24 % des étudiants français sont en expatriation et 28 % des étudiants en France sont étrangers.
Découvrir et acquérir de nouvelles compétences ne sont pas les seuls bénéfices de la mobilité. « C’est aussi une source d’opportunités professionnelles », relève Bruno Lévêque, président de Prestashop, plate-forme de boutiques en ligne dont le siège est californien. Les ambitieux sont aujourd’hui des globe-trotters… « De plus en plus d’informaticiens français viennent saisir les opportunités qu’offre la Chine », constate Géraud de La Tullaye, cofondateur d’In2Log, installé entre Hongkong et Shenzen depuis dix ans.
« Du financement à la réalisation, les possibilités qu’offre la région sont telles que, diplôme en poche, nombreux sont les jeunes à poser leurs valises au bord de la mer de Chine pour donner naissance à leurs projets », témoigne l’entrepreneur.
« Les ingénieurs français ont une facilité à l’indiscipline »
Toutefois, chaque médaille à son revers. « Il n’y a de chemin que celui qu’on se taille », tente, dans une métaphore, Fabrice Bardèche pour expliquer un mal tricolore. « Les ingénieurs français ont une facilité à l’indiscipline. » Vrai ! reconnaît Alexandre Lebrun (Facebook). « Alors qu’un informaticien américain a tendance à exécuter, la culture française est plutôt de réfléchir à la meilleure manière de faire et donc de “challenger” les décisions. »
Une prise de risque, moteur de la disruption et source d’innovation, estiment les Français. « Les Américains parlent d’arrogance », nuance Bruno Lévêque. « L’ingénieur parfait est à la médiane de ses deux mondes », synthétise Alexandre Lebrun.
Autre travers de la formation à la française, « le niveau d’anglais, un gros point noir », déplore M. Lévêque. La seule maîtrise de la grammaire et du vocabulaire ne suffit pas et « l’accent des Français est une catastrophe, abonde Alexandre Ponsin. C’est un véritable handicap professionnel. Ces hommes et ces femmes sont amenés à prendre des responsabilités dans l’entreprise, à gérer des équipes, à animer des conférences téléphoniques et à donner des instructions claires. » L’internationalisation des cursus pourrait permettre de corriger cette faille.
Les informaticiens formés à la française devraient continuer à séduire au-delà des frontières. Il s’agit de répondre à la demande croissante des entreprises du secteur des technologies de l’information qui ne cessent de croître. Ionis compte ainsi poursuivre son déploiement avec l’ouverture de deux nouveaux Epitech en 2019. Un campus états-unien est envisagé. Quant à l’école 42 californienne, elle ne fait pas encore le plein de ses capacités de formation.
« Notre école est gratuite, rappelle Kwame Yamgnane. Aux Etats-Unis, c’est un signe de non-qualité. » Mais le jeune établissement compte sur le succès de sa première promotion pour convaincre les entreprises d’embaucher ses étudiants. « Si [l’école] 42 produit de bons informaticiens, ils seront recrutés, prédit, confiant, Alexandre Lebrun. Une des différences entre la France et les Etats-Unis est que là-bas, l’école est moins importante que le savoir-faire. »