TV : « Café Society », une folle course vers l’abîme
TV : « Café Society », une folle course vers l’abîme
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. Entre New York et Hollywood, Woody Allen chorégraphie la virevolte de personnages radieux et dérisoires (sur Canal+ décalé à 20 h 55)
CAFE SOCIETY Bande Annonce (Woody Allen, Kristen Stewart - Romance)
Le film Café Society procure une illusion exquise, celle d’avoir retrouvé la recette de l’alliage qui fit le charme de Zelig ou de Radio Days. Les années 1930, le garçon juif new-yorkais et la gentille Californienne, la douceur d’un passé évanoui, les quiproquos de vaudeville et les accès d’angoisse métaphysique. Tout est là, harmonieux, fluide, porté par un ensemble d’interprètes délicieux auquel l’auteur s’est joint sous la forme d’une voix off, qui narre les tribulations de Bobby Dorfman entre le Bronx et Beverly Hills.
Café Society est le premier film que réalise Woody Allen en sa neuvième décennie. C’est l’œuvre d’un vieil homme qui approche de près l’un de ses personnages favoris, la mort. Alors qu’il l’humiliait dans Guerre et Amour avec l’arrogance d’un jeune homme qui croit avoir découvert les secrets de l’univers, il lui tient ici une conversation plus respectueuse. Et là où Midnight in Paris jouait avec l’illusion que le cours du temps pouvait s’inverser, Café Society, film lumineux et sensuel, est aussi une course vers l’abîme, zébrée d’éclairs de violence et de terreur, le plaisir et la peur unis par les liens indissolubles de la métaphysique selon Woody Allen.
Un pionnier
A New York, Bobby Dorfman (Jesse Eisenberg) s’ennuie dans la bijouterie minable que tient son père, Marty (Ken Stott). Sa mère, Rose (Jeannie Berlin), a heureusement pour frère Phil Stern (Steve Carell), qui a fait fortune à Hollywood où il dirige une agence artistique. Comme un pionnier, Bobby traverse un continent. Plutôt que de construire une cabane en rondins, il fait le siège de son oncle, qui finit par lui offrir une place de coursier. Contrairement à nombre de ses contemporains, Bobby ne trouve pas d’autre intérêt à la ville que la présence de Vonnie (Kristen Stewart), la secrétaire de Phil qui lui fait le coup du « soyons amis » avant de céder à ses avances.
Bobby et Vonnie sont comme les ancêtres d’Alvy Singer et Annie Hall, un couple fait de gaucherie introvertie et d’énergie incertaine. On ne s’étonnera pas de trouver en Jesse Eisenberg le parfait avatar que Woody Allen a toujours cherché dans ses interprètes masculins. Kristen Stewart a rarement eu, elle aussi, l’occasion de s’épanouir à l’écran. Ici, elle rayonne.
Jesse Eisenberg et Kristen Stewart | Mars / Sabrina Lantos
Reste que Café Society n’est pas une pure idylle. Bobby et Vonnie ne sont que deux des citoyens de cette société, qui compte aussi un gangster meurtrier, un couple de libertins new-yorkais, un autre d’intellectuels de gauche, une divorcée mélancolique. Les cercles dans lesquels se meuvent ces atomes se coupent parfois, au risque de collisions tragiques. Au détour d’une conversation dérisoire surgit le nom d’Adolf Hitler.
Comme pour mieux faire ressortir les abîmes qui menacent leurs personnages, Woody Allen et son chef opérateur, Vittorio Storaro, les filment avec une admiration qui confine à la dévotion. La lumière californienne est idéalisée, Los Angeles apparaît comme un eden hispanisant, New York correspond à une vision plus fantasmée que remémorée.
Chacun des personnages de Café Society court à l’échec. Les quelques années sur lesquelles se déploie le scénario suffisent à générer des vies entières de regrets et de remords. La société du titre n’est en fait que celle des humains, le temps de leur passage ici-bas.
Café Society, de Woody Allen. Avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart (EU, 2016, 96 min).