Le président Michel Temer. | Ricardo Botelho / AP

Donné mort politiquement par une bonne partie de Brasilia, le président brésilien, Michel Temer, joue ce qui pourrait être sa dernière carte. Lors d’une allocution « à la nation », samedi 20 mai, le chef de l’Etat, qui fait l’objet d’une enquête ouverte par la Cour suprême la veille, pour « corruption passive », « obstruction à la justice » et « participation à une organisation criminelle », a exigé la suspension de l’investigation. Motif : la bande sonore confondant le président, livrée à la police par Joesley Batista, propriétaire du géant de l’agroalimentaire JBS, aurait été « manipulée » et « modifiée ».

L’enregistrement, dont le groupe de médias Globo, propriétaire de la chaîne de télévision la plus regardée dans le pays, avait donné la teneur dans la soirée du mercredi 18 mai, laisse entendre que Michel Temer aurait acheté le silence d’Eduardo Cunha, l’ancien président de la chambre des députés, condamné en mars à 15 ans de prison pour corruption.

« Crime parfait »

Il s’agit de la deuxième requête en clémence effectuée par le président auprès de la Cour suprême. La précédente, déposée vendredi, lui a déjà été refusée. Les avocats de Michel Temer y faisaient valoir l’Habeas Corpus, arguant que le président, « un vieil homme de 76 ans », n’était pas habitué aux conversations avec des chefs d’entreprise retors.

L’auteur de cette « écoute clandestine », a fait valoir samedi Michel Temer, bien que poursuivi dans le cadre de « Lava Jato » (« lavage express »), opération judiciaire qui a mis au jour un scandale de corruption tentaculaire, est « libre » et « réside aujourd’hui aux Etats-Unis ». « Il a commis le crime parfait », a poursuivi, irrité, le président, reprenant à son compte des informations divulguées par les médias brésiliens suspectant Joesley Batista d’avoir spéculé et gagné des millions en anticipant la chute de la monnaie brésilienne, le reais, après ses révélations explosives.

Vantant son rôle politique et la mise en place des réformes censées sortir le pays d’une grave crise économique, réformes aujourd’hui menacées par la crise politique, il affirme que « le Brésil ne sortira pas des rails ».

Lâché par ses ex-alliés

« Michel Temer cherche a gagner du temps », estime le politologue Marco Antonio Carvalho Teixeira, professeur à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo. A ses yeux, les jours du chef de l’Etat à Brasilia sont comptés. « Indépendamment de l’issue de cette crise, le mal est fait », abonde, sur son blog, Carlos Melo, professeur de sciences politiques à l’institut d’études supérieures Insper de Sao Paulo.

Le torrent de boue qui s’est déversé sur le pays en quelques jours incite les ex-alliés de Michel Temer, du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) à prendre leurs distances. Le Parti socialiste brésilien (PSD, gauche) a demandé samedi la démission de Michel Temer tandis que le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre-gauche, désormais étiqueté centre-droit) hésite. Divers députés ont déposé des demandes d’« impeachment » et nombre d’entre eux ont déjà lâché un président jugé moribond.

« Temer a perdu la capacité de gouverner », titre le site Congresso em foco dédié au suivi de l’actualité du Congrès, s’appuyant sur les propos de leaders de partis au parlement brésilien. De fait, sans majorité, Michel Temer ne pourra poursuivre les réformes impopulaires qui font sa raison d’être.

Détails gênants

Quand bien même les révélations de Joesley Batista semblent machiavéliques, les analystes s’interrogent : comment un entrepreneur véreux, mis en cause dans Lava Jato, a pu obtenir en mars une audience de près de quarante minutes au Palais de Jaburu, à Brasilia, où réside Michel Temer ?

Les informations égrenées ces derniers jours, qui s’ajoutent à de précédentes déclarations compromettantes de prévenus de Lava Jato contre Michel Temer offrent, de surcroît, une abondance de détails gênants. L’une des vidéos dignes d’un film de série B détenues par les policiers et rendues publiques montre un député, Rodrigo Rocha Loures (PMDB) décrit comme un homme de confiance de Michel Temer, recevoir des mains d’un directeur de JBS, Ricardo Saud, une mallette remplie de 500 000 reais (137 000 euros au taux actuel) en argent liquide dans une pizzeria de Sao Paulo. Vendredi, le pays ricanait aussi en apprenant le code qui aurait été utilisé pour arroser Eduardo Cunha depuis sa cellule : « Dar alpiste aos passarinhos na gaiola » (« donner du grain aux oiseaux en cage »).