Fondateur du Voyage à Nantes, entre autres festivals, Jean Blaise considère l’art comme un outil servant à redonner du souffle à une ville, une région. | MARTIAL RUAUD/ANDIA

La semaine du 15 mai, le temps d’une nomination, tous les regards étaient tournés vers Le Havre. Son maire, Edouard Philippe, un quasi inconnu venu de LR, venait de s’installer à Matignon. La ville portuaire compte bien profiter de cet intérêt national soudain pour attirer l’attention sur son autre actualité de l’année : ses 500 ans. Samedi 26 mai, le lancement des festivités est donné avec l’opération « Un été au Havre ». Derrière cette célébration, un homme, Jean Blaise, lunettes carrées noires et regard gourmand, qui tire les ficelles de la culture à Nantes depuis presque trente ans. Et comme la sixième édition du parcours artistique Le Voyage à Nantes se tiendra à partir du 1er juillet, le sexagénaire se partagera entre les deux villes.

Ce don d’ubiquité agace les commentateurs nantais. « Qui trop embrasse mal étreint », grognent les grincheux. Jean Blaise ne s’en émeut pas. Il en a vu d’autres. Il a 11 ans en 1962, quand sa famille doit quitter l’Algérie avec armes et bagages. A Bordeaux, il se fait virer de toutes les écoles. Puis vient le déclic. Chez un copain de classe, le cancre découvre Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry, un monument de la littérature, fou, déstabilisant, envoûtant. « Je comprends alors que l’accès à la culture est un miracle et que la démocratisation culturelle n’est pas un vain mot », raconte-t-il aujourd’hui.

Jean-Marc Ayrault, compagnon nantais

Le jeune homme se rêve en écrivain, mais a les pieds sur terre. Il rejoindra l’armée des moines soldats des années Jack Lang, chargés d’irriguer les régions en culture. Après avoir fait ses armes dans différents centres d’action culturelle, à Chelles (Seine-et-Marne), puis à la Guadeloupe, il est catapulté à Nantes en 1982. A charge pour lui d’ouvrir une maison de la culture. L’année suivante, les élections municipales portent la droite au pouvoir. Coup dur pour la maison de la culture, qui perd du jour au lendemain ses subventions. Jean Blaise rebondit et convainc les mairies socialistes alentour de financer un festival itinérant de théâtre, qui fera étape à Saint-Herblain. Une ville dirigée par un certain Jean-Marc Ayrault. Entre les deux hommes, le courant passe illico. L’un est un édile cultivé, réservé et convaincu que la France ne se résume pas à Paris. L’autre, un impertinent nomade, noctambule et jouisseur. Tous deux voient dans l’art un outil pour revitaliser un territoire et un levier économique. Lorsque Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes, en 1989, il prend Jean Blaise dans ses bagages.

Le compagnonnage durera vingt-trois ans. Le binôme s’emploie à réveiller la cité meurtrie par la fermeture des chantiers navals. Rénover les vieilles pierres du château des ducs de Bretagne, c’est bien, mais insuffisant. Il faut un électrochoc. Jean Blaise imagine en 1990 le festival des Allumées (qui s’est arrêté en 1995), qui réunit la nuit des milliers de passionnés de théâtre. S’y produiront aussi bien le théâtre équestre Zingaro que la compagnie des arts de la rue Royal de Luxe. « Jean pousse à l’audace. Il m’a bousculé, confie Jean-Marc Ayrault. Je me demandais comment les Nantais réagiraient aux Allumées. On s’est surpris nous-mêmes. »

« Jean [Blaise] a l’assurance du samouraï pour faire avancer ses projets et le doute absolu des illégitimes. » Pierre-Jean Galdin, directeur de l’école des beaux-arts de Nantes

En 2000, Jean Blaise installe le Lieu unique, scène nationale de Nantes, dans l’ancienne usine des biscuits LU. Puis imagine, en 2007, la biennale d’art contemporain L’Estuaire, avec des interventions d’artistes comme Daniel Buren ou Tadashi Kawamata sur les rives de la Loire. Cinq ans plus tard, Le Voyage à Nantes prend le relais. Cette stratégie artistico-touristique paie : en cinq ans, le nombre de visiteurs estivaux a grimpé de 55 %.

Laboureur culotté mais patient, Jean Blaise a un credo : « être exigeant, populaire, accessible ». Trois termes a priori antinomiques. « Ça ne veut pas dire faire dans le consensuel, défend-il. Il faut sortir des lieux. C’est compliqué. Vous n’êtes pas chez vous. C’est un enjeu démocratique. » Il le sait, l’art dans l’espace public est souvent vécu comme une intrusion. Aussi déploie-t-il des trésors de pédagogie pour convaincre riverains, associations de commerçants et élus réticents, avant chaque édition du Voyage à Nantes. « Jean a l’assurance du samouraï pour faire avancer ses projets et le doute absolu des illégitimes », avance Pierre-Jean Galdin, directeur de l’école des beaux-arts de Nantes. « J’ai le syndrome de l’imposteur », abonde l’intéressé. Et pourtant, avec René Martin, créateur de La Folle journée de Nantes, et Jean-Luc Courcoult, cofondateur de Royal de Luxe, Jean Blaise fait la pluie et le beau temps à Nantes. Au point de laisser peu de place à de plus jeunes opérateurs. « Il y a effectivement des gens qui aimeraient que je prenne ma retraite, admet-il. Je fais peut-être de l’ombre aux intermédiaires, mais pas aux artistes. »

« De gauche » mais sans chapelle

Ni aux politiques, qu’il a dans sa poche. C’est qu’il sait parler leur langue, composant depuis ses débuts avec les situations les plus complexes. A la Guadeloupe, où il est chargé d’installer une scène nationale, il apprend à en découdre avec les indépendantistes. « Il n’a pas la grosse tête, il a le respect du politique et il connaît les règles », résume Christophe Girard, actuel maire du 4e arrondissement de Paris, qui l’avait invité à organiser la première Nuit blanche à Paris, en 2002. « Il sait dire non, mais sans être provoquant ou désobligeant, ajoute Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo. Il est dans la construction d’une situation utile à tous. »

Pas question pour autant d’embrasser une carrière politique ou de s’enfermer dans des chapelles. Il y a trois ans, lorsque le maire du Havre, Edouard Philippe, lui propose de « revamper » sa ville en mitonnant un événement artistico-touristique dont il a le secret, il n’hésite pas. Quitte à prendre le risque de droitiser son image ? « Je suis de gauche, j’ai toujours voté socialiste, assure-t-il. Mais, ce parti, il faut le reconstituer. » Le nouveau premier ministre, il le « trouve agile, vif, cool, simple, avec de l’humour ». Mais, avec Ayrault, « le lien est sacré », à la vie à la mort.

Un été au Havre, du 27 mai au 5 novembre. www.uneteauhavre2017.fr
Le Voyage à Nantes, du 1er juillet au 27 août. www.levoyageanantes.fr