TV : « A Touch of Sin », le doux Jia Zhangke dégaina son sabre
TV : « A Touch of Sin », le doux Jia Zhangke dégaina son sabre
Par Isabelle Regnier
Notre choix du week-end. L’auteur de « The World » ajoute une touche de violence inédite à sa chronique de la Chine contemporaine (dimanche 28 mai sur OCS Choc à 18 h 30).
A TOUCH OF SIN Trailer | Festival 2013
Avec A Touch of Sin, référence à A Touch of Zen, chef-d’œuvre du cinéma de sabre signé King Hu, Jia Zhangke se penche sur un quatuor de personnages poussés à bout, qui vont s’abandonner à une brutalité sauvage et, ce faisant, procurer au spectateur une jouissance teintée d’effroi.
Si la violence symbolique de la société chinoise a toujours été son grand sujet, celle-ci se déployait jusqu’à présent à travers le quotidien de citoyens ordinaires. Son style n’a pas changé, mais en lui injectant des petites doses concentrées de cinéma de genre – film de gangsters, film de sabre, comédie… –, il donne à ATouch of Sin une nervosité qu’on ne lui connaissait pas.
Saisissant ses quatre personnages (un mineur, un travailleur migrant, la réceptionniste d’un sauna, un ouvrier) au moment où ils craquent, et renversent le cours des choses par le meurtre sauvage, il propose une séance de tabassage à coups de club de golf, des meurtres au fusil de chasse, un assassinat au couteau à fruits, transformé pour l’occasion en sabre, une rixe sanglante dans un bar…
Scansion écarlate
Qui aurait cru le doux Jia Zhangke capable d’une telle violence ? Qui aurait cru qu’il prendrait lui-même un plaisir communicatif à la mettre en scène, entraînant dans sa folie une kyrielle d’animaux dont la présence vient distiller un parfum d’étrangeté, faisant lui-même une apparition désopilante en mac mafieux ?
Dans ce nouveau paradigme, l’auteur déploie un art du contre-pied, de la surprise, une maîtrise du rythme, un formalisme épatants. Les taches rouges qu’il fait jaillir partout – gobelets en plastique, hémoglobine, vêtements, morceaux de pastèque, montagne de tomates dès le premier plan… – viennent raviver les teintes grises et beiges de la Chine en apportant au film une scansion écarlate.
Autour des quatre personnages, quatre histoires s’enchaînent, chacune tournée dans une région différente du pays, raccordées entre elles par des fils narratifs ténus et une belle unité formelle. Mais le récit, s’il est un rien systématique, n’est pas décousu pour autant, car Jia Zhangke est un de ces rares cinéastes à qui un plan suffit pour imposer une réalité, faire exister un personnage, happer entièrement le spectateur.
A Touch of Sin, de Jia Zhangke. Avec Jiang Wu, Baoqiang Wang (Ch.-Fr.-Jap., 2013, 133 min).