Dans le Sud-Ouest, la filière canards redémarre après la crise de la grippe aviaire
Dans le Sud-Ouest, la filière canards redémarre après la crise de la grippe aviaire
LE MONDE ECONOMIE
Le gouvernement avait décrété début mai la fin de l’épidémie « sur l’ensemble du territoire ». Les canards doivent être réintroduits lundi dans les élevages.
Lundi 29 mai, les canards doivent retrouver leurs « parcours », un terme qui désigne les élevages en plein air. Après six mois de crise dus à la propagation du virus de la grippe aviaire, dit H5N8, qui a conduit l’Etat à quasiment stopper la production dans plusieurs départements (Gers, Landes, Hautes-Pyrénées, Tarn, Lot-et-Garonne), la filière et ses 100 000 emplois vont donc pouvoir reprendre leurs activités.
Mais le virus, non transmissible à l’homme et qui est porté par les oiseaux migrateurs, a laissé de lourdes traces. Déjà, en 2016, l’Etat avait dû débourser 180 millions d’euros pour combler le manque à gagner face à l’apparition d’une variante de l’épizootie, dénommée H5N1.
Entre l’abattage préventif des animaux sur plus de 1 000 communes – on dénombrerait plus de 4,5 millions de palmipèdes euthanasiés depuis le début de l’année 2017 – et les quelque 7,5 millions d’autres qui n’ont pas été mis sur le marché, la facture va s’élever cette fois-ci à 350 millions d’euros.
Un virus « très agressif »
La France, seul pays d’Europe à opérer ces abattages préventifs, est au chevet de la filière, mais de nouvelles normes de biosécurité, lors des transports ou pour le confinement des animaux en hiver, vont être exigées.
« On vient de subir deux énormes crises, on ne passera pas une troisième année dans ces conditions », résume un éleveur du Gers, qui souhaite garder l’anonymat. Le ton se veut plus rassurant du côté du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), le puissant syndicat interprofessionnel qui a participé aux négociations avec le gouvernement, et qui se fait surtout le porte-parole des grands groupements.
Premier producteur mondial avec plus de 35 millions de canards abattus chaque année, l’Hexagone, en effet, s’appuie surtout sur trois grandes coopératives qui se répartissent environ 70 % du marché français et à l’exportation : Maïsadour (et ses marques Delpeyrat et Comtesse du Barry), Lur Berri (Labeyrie) et Euralis (Rougié et Montfort).
Elles fonctionnent dans un système intégré, de la naissance et du couvage des canetons à la commercialisation. « Nous étions face à un virus très agressif. Les nouvelles mesures devraient permettre de surmonter ce moment un peu difficile », veut croire Marie-Pierre Pé, déléguée générale du Cifog.
Nouvelles normes et contraintes
Ces nouvelles normes et mesures, conclues après la signature d’un « pacte » avec Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, viennent renforcer celles qui avaient été prises en 2016 : sas sanitaires sur les exploitations, zones bétonnées aménagées pour les chargements et obligation pour les camions d’être équipés de carnets de désinfection et d’atomiseurs pour les nettoyer… Mais avec deux « nouveautés » qui ne font pas l’unanimité dans la profession.
La première incite les éleveurs et gaveurs à s’orienter vers la « bande unique », c’est-à-dire au regroupement en une seule période de production, alors qu’auparavant plusieurs bandes pouvaient s’étaler sur une année.
La seconde imposera un confinement, ou claustration, des animaux pendant la période du 15 novembre au 15 janvier, ceci pour les préserver des oiseaux migrateurs, pour les élevages de plus de 3 200 animaux. En outre, des analyses vétérinaires avant chaque chargement des animaux en cage devront être réalisées par des vétérinaires.
Fissure de l’entente entre grandes coopératives et petits éleveurs
« Une rationalisation nécessaire comme cela se fait en Vendée par exemple, une zone peu touchée par le virus » pour Mme Pé ; « une pression énorme mise sur les petits éleveurs et la fin programmée des élevages en plein air », pour Sylvie Girard, de la Coordination rurale 47.
Car le H5N8 a également fissuré l’entente cordiale qui régnait jusqu’alors entre les grandes coopératives, qui vendent à majorité à bas prix aux grandes surfaces, et les petites exploitations et leurs marques IGP (indication géographique protégée), leurs produits de qualité destinés aux circuits courts.
Des canards destinés à la production de foie gras, à Castelnau-d’Auzan (Gers), le 17 janvier. | ERIC CABANIS / AFP
Les petits éleveurs reprochant aux grandes coopératives d’être à l’origine, avec la multiplication des transports, de la propagation du virus.
Des plaintes contre X ont été déposées par la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne et une quinzaine d’éleveurs afin de savoir si ce sont seulement des oiseaux migrateurs sauvages qui ont importé le virus ou si des erreurs humaines ont été commises. Un camion de la coopérative Vivadour aurait transporté des animaux contaminés en provenance du Tarn au début de décembre 2016, l’enquête suit son cours.
« Nécessité de commercialiser un vaccin »
Sur le terrain, le redémarrage s’opère avec anxiété. Près de Gimont (Gers), au Touget, Jacques Candelon dit « crouler sous la paperasse des banques, des avances, des imprimés des nouvelles normes à appliquer ». A la tête d’une SARL qui fait travailler éleveurs et gaveurs, il possède un abattoir et maîtrise la commercialisation, le tout pour environ 200 000 canards par an.
« Aujourd’hui, je dois investir plus de 100 000 euros dans les stations de lavage des camions, auxquels se rajoute l’achat de nouveaux camions, d’un hangar adapté pour les sas sanitaires, se désole-t-il. Mais surtout on attend de l’Etat que l’avance faite pour cette crise soit transformée en subventions européennes. Sinon, pour ma part, je ne peux pas rembourser pour l’instant ». Autour de chez lui, « 15 à 20 % des petits éleveurs vont arrêter », insiste-t-il. Les aides, c’est bien, mais dans le milieu, c’est la nécessité de commercialiser un vaccin qui s’impose. Un laboratoire bordelais affirme être prêt ».
Des aides qui devaient être versées avant fin mai, mais pour certains, la dernière tranche de 30 % de 2016 n’est pas encore tombée. C’est le cas pour Pierre Pérès, et ses neuf équivalents temps plein, qui va remettre en place ses canetons mardi 30 mai, dans ses parcours vers Mirande, dans le sud-est du Gers.
« Ici, on en est à 160 000 euros de prêts bancaires depuis 2016. On ne survivra pas à une troisième crise… On va sécuriser à 95 %, mais on se pose toujours autant de questions ». A commencer par celle, essentielle, de savoir si H5N8 fera son retour l’hiver prochain. Et sous quelle forme.