Droit du travail : « Un passage en force d’Emmanuel Macron serait une faute politique »
Droit du travail : « Un passage en force d’Emmanuel Macron serait une faute politique »
Par Michel Noblecourt
Pour notre éditorialiste Michel Noblecourt, qui répondait aux questions des internautes, « il est peu probable que le président bouge sur les principaux axes de sa réforme ».
Emmanuel Macron, à Taormina (Italie), le 27 mai. | STEPHANE DE SAKUTIN/AFP
Journaliste au Monde spécialiste des questions sociales, Michel Noblecourt a répondu aux questions des internautes sur la réforme du droit du travail que prépare Emmanuel Macron.
Afifi : La réforme du droit du travail en deux-trois mois, selon le plan du gouvernement, ce n’est pas un peu court ?
Michel Noblecourt : Il y a encore un certain flou sur le calendrier. Le premier ministre, Edouard Philippe, a indiqué, mardi 30 mai, que le projet de loi d’habilitation des ordonnances serait présenté « au mois de juillet » au Parlement et que les ordonnances seraient publiées « avant la fin de l’été ».
Or le projet de loi d’habilitation doit déjà présenter les principaux axes de la réforme. La question est donc de savoir après cette première étape si les syndicats auront encore du grain à moudre à négocier entre juillet et le 21 septembre. Le premier ministre a présenté le 21 septembre comme une date butoir en expliquant qu’il n’était pas en capacité de changer les dates des saisons… Il en ressort un calendrier court et une grande incertitude sur le contenu réel de la concertation qui sera menée.
Geronimo : Selon vous, quelle sera la mesure phare de cette réforme ?
La mesure phare de la réforme devrait être la primauté donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche, c’est-à-dire que les entreprises pourront, dans le cadre d’accords majoritaires (conclus avec des syndicats ayant recueilli 50 % des voix aux élections professionnelles), prévoir des dispositions moins favorables que celles prévues au niveau d’une branche. Cette possibilité avait été ouverte par la loi El Khomri sur le temps de travail et l’idée est donc de l’étendre à tous les sujets.
yasqueen : La rédaction des ordonnances a-t-elle débuté au ministère du travail ?
A ma connaissance, non. Ce serait une curieuse méthode de la faire avant que la concertation soit achevée. Or elle n’en est qu’à ses débuts. Après le président de la République et le premier ministre, c’est maintenant Muriel Pénicaud, la ministre du travail, qui reçoit jusqu’à vendredi, en entretiens bilatéraux, les organisations syndicales et patronales. La semaine prochaine, le gouvernement doit transmettre aux partenaires sociaux « une lettre d’orientation ». Ce sera le moment où la concertation va vraiment rentrer dans le dur en portant, au-delà du calendrier, sur le contenu de ces ordonnances.
Faut-il avoir peur d’un gouvernement par ordonnances ?
Durée : 03:21
Geronimo : De quels poids disposent réellement les syndicats pour négocier face à un président élu avec une confortable majorité ? N’est-ce pas perdu d’avance ?
La représentativité des syndicats n’est pas liée à leur nombre d’adhérents – même s’ils en comptent plus que les partis politiques – mais à leur audience aux élections professionnelles. C’est ce dernier élément qui leur confère une légitimité pour discuter avec le gouvernement. Mais vous avez raison de dire que leur marge de manœuvre est étroite car il est peu probable qu’Emmanuel Macron bouge sur les principaux axes de sa réforme surtout s’il obtient une majorité absolue aux élections législatives.
Lololand : Cette méthode, de recevoir les syndicats, c’est nouveau ?
Cette méthode n’est pas nouvelle. Il est même arrivé que certains présidents de la République reçoivent les syndicats avant même leur prise de fonction. Cela a été le cas, par exemple, de François Mitterrand et de Nicolas Sarkozy.
salut : Dans quelles dispositions sont les syndicats ? Sont-ils ouverts aux discussions ou plutôt fermés avant de commencer ?
Au départ, les syndicats sont tous réservés sur l’idée d’une nouvelle réforme du code du travail après la loi El Khomri. Mais dans les premiers contacts engagés, ils font globalement preuve de pragmatisme. Emmanuel Macron ne les a pas pris en traître dans la mesure où il a annoncé cette réforme pendant sa campagne. Ils ont compris qu’il ne reculerait pas sur le principe et toute leur stratégie consiste à ce qu’il y ait une véritable concertation, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas bâclée et surtout qu’ils puissent faire bouger quelques lignes.
Bipbip : A quoi ça sert de rencontrer des syndicats etc alors qu’Emmanuel Macron a l’air bien décidé de faire ce qu’il veut ?
Emmanuel Macron peut faire le choix de passer en force surtout s’il obtient une majorité absolue pour La République en marche à l’issue des élections législatives. Un passage en force serait une faute politique. Mais s’il veut montrer que, comme il le proclame, il attache de l’importance au dialogue social, il faut qu’il donne quelques gages aux syndicats, histoire de faire la démonstration que la concertation n’aura pas été simplement de pure forme, juste pour les images…
José : Qu’a à perdre Macron à reculer un peu la date de sa réforme comme lui demandent les syndicats ?
Michel Noblecourt : Emmanuel Macron est un homme pressé et il pense que s’il ne fait pas cette réforme très vite au début de son quinquennat, il ne pourra pas la mener à bien. Mais il serait dommageable que sa vitesse ressemble à de la précipitation. S’il constate que les syndicats sont prêts à jouer le jeu de la concertation, en rentrant dans son cadre et en présentant des propositions qui seraient jugées constructives, il peut avoir intérêt à donner un peu de mou par rapport à son calendrier initial.
Olivier Levert : Même si le plafonnement des indemnités prud’homales est une bonne chose pour les PME je m’interroge sur leur caractère constitutionnel : comment peut-on limiter les indemnités alors que le droit français prévoit expressément que tout préjudice reconnu doit être indemnisé à 100 % ?
Dans la loi Macron, le plafonnement des indemnités prud’homales avait été introduit par celui qui était alors ministre de l’économie. Mais le Conseil constitutionnel l’avait censuré parce qu’il prévoyait des barèmes différents selon la taille des entreprises. Mais ce n’est pas le principe du plafonnement qui a été mis en cause.
Nanou : Dans les grandes entreprises, les accords d’entreprise pourront toujours être discutés entre les représentants des salariés et du patronat mais dans les petites entreprises, comment faire pour protéger les salariés face à des employeurs imposant un rapport de force ou profitant de leur position dominante ?
Vous avez tout à fait raison car il y a plus de la moitié des entreprises où il n’y a pas de représentation syndicale. C’est pour cela que certains préconisent, c’était le cas du rapport Combrexelle publié en septembre 2015, de permettre la négociation au niveau des branches professionnelles d’« accords-types » qui s’appliqueraient aux petites et moyennes entreprises. Les syndicats ont aussi la possibilité dans les entreprises où ils ne sont pas présents de mandater un salarié pour négocier avec l’employeur.