Emmanuel Macron et Vladimir Poutine au château de Versailles, lundi 29 mai 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

La priorité est la lutte contre le terrorisme et l’éradication de l’organisation Etat islamique (EI), mais le président français montre un réel art de l’équilibre dans ses positions sur la Syrie. Emmanuel Macron et son homologue russe, Vladimir Poutine, l’ont rappelé, lundi 29 mai, à Versailles, dans une conférence de presse commune. « C’est le fil directeur de notre action en Syrie et ce sur quoi je veux qu’au-delà du travail que nous menons dans le cadre de la coalition, nous puissions renforcer notre partenariat avec la Russie », avait déclaré M. Macron, affirmant s’être accordé avec son interlocuteur sur la création d’un groupe de travail franco-russe et sur le partage d’informations.

Un thème qui ne pouvait que plaire à l’homme fort du Kremlin, qui, revenant sur l’argument dans une interview au Figaro daté du 31 mai, reproche aux Européens, mais surtout aux Etats-Unis, de ne pas avoir joué le jeu. « Après un sanglant attentat à Paris, le président Hollande était venu me voir. Nous avons convenu d’actions conjointes contre le terrorisme. Le porte-avions Charles-De-Gaulle a avancé vers les côtes syriennes mais l’opération a continué dans le cadre d’une coalition pilotée par les Etats-Unis. Au sein de cette coalition, regardez qui est le chef et qui prétend quoi », a déclaré M. Poutine, insistant sur le besoin « de mener un dialogue concret et non pas de discuter de sujets imaginaires ».

Le processus de Genève au point mort

Sur le principe, cette coopération fait l’unanimité. Jean-Yves Le Drian, le nouveau ministre de l’Europe et des affaires étrangères, l’a rappelé lui aussi, mardi 30 mai, en recevant au Quai d’Orsay l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan De Mistura, maître d’œuvre des négociations de Genève entre le régime de Damas et l’opposition. « La première priorité, c’est clairement la lutte contre le terrorisme, et pour gagner contre le terrorisme, il faut une solution politique en Syrie, autrement ce sera une bataille qui va continuer pendant des années », a déclaré le diplomate onusien, espérant que la rencontre entre les présidents français et russe pourra débloquer les discussions.

L’accord entre Russes, Iraniens et Turcs à Astana (Kazakhstan) pour la création de « zones de désescalade » a permis la mise en œuvre de cessez-le-feu locaux autour de quatre bastions rebelles – nord de Homs, Idlib, la Ghouta, près de Damas, et Deraa. Mais ces accalmies ne peuvent tenir dans la durée sans une perspective de solution globale du conflit.

Le processus politique négocié à Genève reste au point mort, butant notamment sur la question de la création d’une autorité de transition, réunissant le régime et l’opposition, et à plus long terme sur le sort de Bachar Al-Assad. L’opposition, les pays arabes sunnites qui la soutiennent, mais aussi Paris, Londres et Washington, exigent son départ du pouvoir à l’aboutissement du processus. Ce que refuse le régime, comme ses protecteurs iraniens et russes.

Signal fort

« C’est au peuple syrien d’en décider, personne ne peut s’arroger des droits qui appartiennent à un pays », a martelé M. Poutine dans son interview. La Russie, par son intervention militaire, a sauvé le régime et couvre ses pires exactions, dont le bombardement au gaz sarin, début avril, de la petite ville de Khan Cheikhoun, qui a fait 88 morts « Selon nos informations il n’y a aucune preuve d’utilisation d’armes chimiques par Assad. Nous sommes persuadés qu’il ne l’a pas fait », a répété le président russe, affirmant néanmoins que « la communauté internationale doit avoir une politique commune contre toute personne et toute force ayant utilisé les armes chimiques ».

« Une ligne rouge très claire existe de notre côté, l’utilisation d’armes chimiques par qui que ce soit », avait affirmé le président français à Versailles, assurant que « toute utilisation d’armes fera l’objet de représailles et d’une riposte immédiate de la France ». Le régime est le seul à disposer d’une aviation et à pouvoir larguer de telles bombes. Il a repris les mots même de Barack Obama, en 2013, qui, néanmoins, avait renoncé à passer à l’acte alors même que Paris était prêt.

Ce signal fort du président se double en même temps de positions plus ouvertes aux préoccupations de Moscou sur le processus politique. Il évoque ainsi la nécessité de « préserver l’Etat syrien afin de ne pas encore plus fragiliser la région », un élément de langage cher aux Russes. Il souligne aussi qu’il faut négocier avec tout le monde, y compris le régime. Est-ce l’amorce d’une inflexion de la politique française sur la Syrie ? Peut-être, même si les éléments de continuité restent évidents. Le président a reçu, mardi 30 mai en fin de journée à l’Elysée, la délégation du Haut Comité des négociations, qui réunit les principales forces de l’opposition syrienne et son coordinateur, Riyad Hijab, pour leur rappeler son « engagement personnel » sur le dossier et son « soutien » à l’opposition pour une transition politique.