Du Roundup, désherbant phare de la firme Monsento. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Quatre eurodéputés écologistes, dont la Française Michèle Rivasi, ont annoncé, jeudi 1er juin, qu’ils saisissaient la Cour de justice de l’Union européenne à propos du dossier du glyphosate, le principe actif du Roundup, le célèbre herbicide produit par la firme Monsanto. Les élus interrogent les juges de Luxembourg sur la non-divulgation par l’Agence européenne de sécurité des aliments (l’EFSA) des études sur lesquelles elle s’est fondée pour conclure que le glyphosate n’était probablement pas nocif pour l’homme.

L’Agence européenne des produits chimiques a, elle, refusé, en mars, de classer le produit comme cancérogène. Or c’est sur cette base, entre autres, que la Commission européenne a relancé, le 16 mai, une procédure en vue d’autoriser à nouveau, et pour dix ans, l’herbicide. Une décision qui réjouit les organisations agricoles, inquiètes, affirment-elles, de l’effet d’une éventuelle interdiction sur « l’environnement et le changement climatique ».

En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé avait de son côté classé le Roundup comme « cancérogène probable », à partir d’études appartenant au domaine public. Par ailleurs, une action publique a été lancée, sur cette base, devant une cour fédérale californienne par des ouvriers agricoles souffrant d’un cancer du sang. L’EFSA se fonde, elle, essentiellement sur des études confidentielles, fournies par des industriels et accessibles seulement à ses agents.

Au début de la semaine, Christopher Portier, un toxicologue et ex-directeur d’agences fédérales de recherche sur l’environnement et la santé aux Etats-Unis, a adressé une lettre au président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker, pour lui indiquer que le réexamen des données transmises aux autorités européennes auquel il s’était livré montrait l’incidence de diverses tumeurs chez des rongeurs.

Le professeur avait été consulté par des députés européens après qu’une ONG a pu accéder aux documents de l’EFSA. Celle-ci promet désormais d’examiner les conclusions de l’expert tandis que la Commission entend « poser des questions » à l’Agence mais n’estime pas nécessaire, à ce stade, de remettre en question l’évaluation à laquelle se sont livrés ses propres spécialistes.

On ignore s’ils ont tenu compte, par exemple, des données des « Monsanto Papers », ces documents déclassifiés sur ordre d’un juge américain et qui ont notamment indiqué que la firme elle-même s’inquiétait, dès la fin des années 1990, des possibles effets mutagènes de son produit – c’est-à-dire qu’il pourrait influencer le matériel génétique d’un individu et susciter des cancers.

L’espoir d’une jurisprudence

Une étude menée en Italie avait évoqué ce risque en 1997. Elle aurait été vérifiée en interne dans les laboratoires de Monsanto, à Saint-Louis, affirmait, le 26 avril, le toxicologue Mark Martens dans le quotidien flamand De Standaard. Ce spécialiste belge employé par Monsanto à l’époque affirme que l’injection de glyphosate à des souris aurait entraîné l’apparition de lésions, mais pas de modification de l’ADN. Devenu consultant de l’industrie chimique, M. Martens assure que le glyphosate est sans danger. Mais il affirme que ce sont les détergents contenus dans le Roundup qui peuvent créer des dommages pour la santé.

Le dossier du Roundup prend d’autant plus d’ampleur qu’au Parlement de Strasbourg, des députés sociaux-démocrates réclament la mise en place d’une commission d’enquête. Dans leur esprit, elle devrait notamment examiner les liens présumés entre des experts européens et l’industrie chimique.

Par leur recours à la Cour de justice, les Verts entendent, eux, éclaircir la question des divergences entre les experts de l’OMS sous la tutelle des Nations unies et ceux de l’Union européenne. « Après une année de tractations intensives, explique Mme Rivasi, l’agence européenne ne nous a fourni qu’un accès partiel à ces études, omettant des informations clés, comme la méthodologie ou les conditions d’expérimentation. Or, sans cela, il est impossible pour des experts indépendants de vérifier la validité des conclusions, comme l’a souligné M. Portier. »

Les eurodéputés attaquent donc l’EFSA en justice, avec l’espoir de décrocher une jurisprudence qui forcerait les experts à privilégier la transparence, et non les secrets commerciaux. La procédure s’annonçant très longue, les parlementaires écologistes réclament entre-temps que les agences de l’UE se voient en tout cas obligées de recourir uniquement à des études appartenant au domaine public.

Le Parlement européen a déjà voté, en 2016, un texte invitant les Etats à interdire le glyphosate dans les parcs et jardins. La Belgique entend appliquer une telle mesure dès la fin de l’année, a annoncé récemment le ministre de l’agriculture, Willy Borsus.