LES CHOIX DE LA MATINALE

Belle semaine en vue dans les salles obscures, avec un documentaire fascinant sur un moine bouddhiste terrifiant, le retour réussi de Wonder Woman sur les écrans, le dernier Hong Sang-soo tout droit venu de Cannes et une rétrospective pour redécouvrir l’œuvre du cinéaste ethnologue Jean Rouch.

LA VIOLENCE DÉCHAÎNÉE DU MOINE BOUDDHISTE : « Le Vénérable W. », de Barbet Schroeder

LE VENERABLE W Bande Annonce (Documentaire - 2017)

Le cinéma laisse souvent croire que l’on peut explorer l’esprit d’un criminel comme n’importe quel paysage, qu’on ait pour guide un acteur (Bruno Ganz dans La Chute) ou un documentariste (les tueurs anonymes de Sabra et Chatila dans Massacre, de Monika Borgmann et Lokman Slim).

Barbet Schroeder est plus circonspect. Qu’il filme les actes (Général Idi Amin Dada : autoportrait) ou qu’il recueille les propos (L’Avocat de la terreur), il laisse son sujet se définir lui-même, à charge pour le spectateur d’en tirer des leçons éthiques ou politiques.

Les deux films cités sont les deux premiers volets d’une « trilogie du mal » que vient compléter aujourd’hui Le Vénérable W. Contrairement à ses prédécesseurs, le dictateur ougandais et Me Jacques Vergès, le sujet de ce film sera, pour la quasi-totalité des spectateurs, un parfait inconnu.

La renommée de Wirathu, moine bouddhiste birman, ne dépasse les frontières de son pays que grâce aux organisations de défense des droits de l’homme qui recensent les conséquences criminelles de la propagande raciste et xénophobe que dispense le saint homme. Pour pallier cette ignorance, Barbet Schroeder a construit un film qui, moins qu’un portrait, est comme le diagramme de la mécanique du mal à l’œuvre. Et cette dissection est si précise, si argumentée, qu’elle prend une portée universelle.

Le Vénérable W. détaille le processus historique par lequel le pouvoir militaire birman a mis à son service les tendances nationalistes et antimusulmanes d’une partie du clergé bouddhiste. Cette symbiose entre religion et haine de l’autre se propage aussi bien par le prosélytisme que par les réseaux sociaux ; elle est d’autant plus déconcertante pour un spectateur français que le bouddhisme est au fil des conversations souvent cité en exemple pour son pacifisme en opposition à l’agressivité des religions monothéistes. Thomas Sotinel

« Le Vénérable W. », documentaire français de Barbet Schroeder (1 h 47).

TORNADES PASSIONNELLES ET BOURRASQUES DE SOLITUDE : « Le Jour d’après », de Hong Sang-soo

LE JOUR D'APRÈS Bande Annonce (Hong Sang-soo - Cannes 2017)

Ultime avatar de l’infinie combinatoire de la déconvenue amoureuse que brode depuis vingt ans déjà le Coréen Hong Sang-soo, Le Jour d’après nous revient de la compétition cannoise auréolé de la complète indifférence du jury, présidé par Pedro Almodovar, à son endroit.

Les deux hommes se partagent pourtant le même territoire de cinéma – disons en gros le mélodrame –, mais le prennent par des bouts opposés, le réalisateur espagnol poussant ses flamboyances, le réalisateur coréen épousant ses sinuosités. Ici, dans un noir et blanc hivernal balayé par des bourrasques de solitude, un homme entre trois femmes.

Il s’appelle Bongwan, c’est un éditeur à vue de nez quinquagénaire, en quête de sensations nouvelles, à son paternalisme près. A la maison, Haejoo, une femme qui s’étonne de ses départs au travail de plus en plus matinaux et met d’emblée les pieds dans le plat de l’infidélité conjugale. Au travail, Changsook, une jeune assistante devenue sa maîtresse, mais qui a fini par le quitter. Enfin Areum, une autre jeune assistante, non moins charmante, qui l’a remplacée.

Canevas un peu éprouvé, il faut bien l’avouer, mais qu’Hong Sang-soo parvient comme à l’ordinaire à épicer par sa façon particulièrement subtile de jouer avec la temporalité. Jacques Mandelbaum

« Le Jour d’après », film coréen d’Hong Sang-soo. Avec Kwon Haehyo, Kim Minhee, Kim Saebyuk, Cho Haejoo (1 h 32).

ET WARNER CRÉA LA SUPERFEMME : « Wonder Woman », de Patty Jenkins

Wonder Woman - Bande Annonce Officielle Comic-Con (VOST) - Gal Gadot

Créée sur papier, en 1941, par William Moulton Marston, dans une perspective d’emblée féministe, incarnée sur le petit écran dans les années 1970 par Lynda Carter, Wonder woman incarne depuis ses origines une alternative intéressante à l’univers testostéroné des super-héros. Warner disposant dans ses tiroirs de la plus célèbre d’entre toutes les super-héroïnes, il eût été idiot de ne pas en éprouver la formule sur grand écran.

Après élection de l’heureuse élue (Gal Gadot, Miss Israël 2004, mannequin, actrice dans Fast and Furious) et première apparition-test en 2016 dans Batman v Superman, l’aube de la justice (Zak Snyder), voici donc le jour venu de l’assomption cinématographique du personnage comme personnage central. Cerise sur le gâteau, une autre femme, Patty Jenkins, est désignée comme réalisatrice, événement lui aussi assez rare.

Celle-ci (qui n’avait signé que Monster, avec Charlize Theron, en 2003) s’en sort très correctement en apportant au genre, dans les limites évidemment imparties, une légèreté et une distanciation appréciables. Le récit se révèle furieux et trépidant, tirant allègrement par les cheveux mythologie et Histoire.

La réussite globale du projet tient à plusieurs choses. D’abord, l’impression qu’une pédale douce a été mise sur les scènes d’action, à moins que les autres séquences, plus travaillées et donc plus prenantes qu’à l’ordinaire, en donnent simplement l’impression. Une manière de buddy movie mixte et farfelu s’esquisse ainsi entre l’espion américain puritain, mais rompu au relativisme moderne et la déesse grecque plutôt nature sur les choses de la chair et intransigeante sur le code de l’honneur. On est loin d’Howard Hawks, certes, mais du moins peut-on y penser. Jacques Mandelbaum

« Wonder Woman », film américain de Patty Jenkins. Avec Gal Gadot, Chris Pine, Connie Nielsen, Robin Wright (2 h 21).

AU PAYS DES MAGES NOIRS : « mini-rétrospective Jean Rouch », en six films restaurés

"Moi, Un Noir" Trailer

Avec la célébration du centenaire de la naissance de Jean Rouch (1917-2004), les événements en son souvenir fleurissent, et l’occasion nous est rendue d’enfin revoir certains de ses films au cinéma. Ce grand cinéaste français, dont la plupart des films furent tournés en Afrique, n’est venu au cinéma qu’à la suite de son cursus scientifique.

C’est en tant qu’ingénieur des travaux publics qu’il pose pour la première fois le pied sur le continent africain, pour y construire ponts et chaussées. Attaché à l’aventure de l’ethnographie, il descend sur plus de 4 000 kilomètres la boucle du fleuve Niger, une expédition dont il rapportera son premier film (Au pays des mages noirs, 1946). Il découvre alors les peuplades Dogon et Songhay, auxquels il consacrera par la suite de nombreuses autres pages de son journal filmé.

Ex-zazou imbibé de surréalisme et d’anarchisme, fervent lecteur de L’Afrique fantôme, de Michel Leiris, Jean Rouch ne s’est jamais maintenu dans la seule ornière du cinéma ethnographique. Au contraire, son œuvre pléthorique, avoisinant la centaine de titres, s’est construite au carrefour du documentaire, de l’anthropologie, du mythe et des puissances d’affabulation.

Parmi les six films qui ressortent en version restaurée, on retrouvera les fameux et toujours aussi stupéfiants Maîtres fous (1955), chef-d’œuvre abrasif qui suscita en son temps la controverse. Dans la splendide Pyramide humaine (1961), Rouch invente une expérience qui consiste à mélanger des étudiants noirs et blancs dans une même classe de lycée à Abidjan, et montre l’efflorescence de relations juvéniles se nouant par-dessus l’isolement ethnique. Enfin, dans La Chasse au lion à l’arc, conte sublime sur les mythes de l’enfance, Rouch suit, à la frontière du Niger et du Mali, la campagne de chasseurs Gao, sur la piste d’un lion enragé surnommé « L’Américain ». Mathieu Macheret

Rétrospective en six films. « Moi, un Noir » (1958, 1 h 13). « La Chasse au lion à l’arc » (1967, 1 h 20). « Jaguar » (1967, 1 h 31). « Petit à petit » (1971, 1 h 36). « La Pyramide humaine » (1961, 1 h 30). « Les Maîtres fous » (1955, 29 minutes).