Etat d’urgence, un piège politique
Etat d’urgence, un piège politique
Editorial. La transposition dans le droit commun de mesures techniques dont l’opinion publique ne se préoccupe guère ne rendra pas celle-ci plus indulgente envers le pouvoir si un attentat survenait après le 1er novembre.
Le ministre de l’intérieur Gérard Collomb et le premier ministre Edouard Philippe, lors d’un déplacement à Hordain (Nord), le 5 juin. | PHILIPPE HUGUEN / AFP
Editorial du « Monde ». La sinistre litanie des attentats terroristes islamistes réalisés, tentés ou déjoués n’est malheureusement pas près de s’interrompre. Nous le savons. Le président de la république mieux encore, puisqu’il lui revient, au premier chef, la responsabilité de protéger les Français. Démultiplier les outils techniques et juridiques pour mieux lutter contre cette menace est donc légitime. Une démocratie doit se protéger et adapter son arsenal. Mais ni l’état d’urgence ni les nombreuses lois antiterroristes votées ces trois dernières années n’ont permis de garantir un risque zéro. Parce que le risque zéro n’existe pas.
Il faudrait sans doute beaucoup de pédagogie et pas moins de courage pour assumer cette vérité. L’actuel gouvernement sera-t-il, davantage que ses prédécesseurs immédiats, disposé à cet effort de pédagogie qui permettrait de sortir de l’état d’urgence ? Il ne semble pas en prendre le chemin. Il est vrai que ce régime d’exception est un véritable piège politique. Il porte dans son intitulé même la certitude qu’il ne sera pas maintenu indéfiniment. Mais, y mettre fin, c’est prendre le risque d’être accusé, en cas de nouvel attentat, d’avoir imprudemment baissé la garde.
Un choix dangereux
Le président de la République et le premier ministre Philippe ont affiché leur volonté de maintenir l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre, afin d’en organiser la sortie. La même justification avait été donnée, en février 2016, par le gouvernement Valls pour prolonger ce dispositif exceptionnel au-delà des trois premiers mois, afin de se donner le temps de faire voter les dispositions antiterroristes alors en gestation. On connaît la suite.
Pourtant, la commission de suivi de l’état d’urgence de l’Assemblée nationale a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne servait plus à grand-chose, la justice classique et les services de renseignement ayant pris le relais dans la lutte antiterroriste avec leurs outils respectifs.
Pour conjurer cette incapacité à sortir du piège, le gouvernement Philippe a donc choisi de ne pas lésiner sur les nouvelles mesures sécuritaires. L’avant-projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », révélé par Le Monde, transpose dans le droit commun, au prix de quelques aménagements, de nombreuses dispositions de l’état d’urgence.
Même si elles sont strictement réservées aux cas liés au terrorisme, les assignations à résidence ou les perquisitions administratives font leur entrée dans la loi de tous les jours. Jusqu’à présent, seul un magistrat pouvait user de ces mesures. Désormais, ce sont les préfets qui décideront, pas l’autorité judiciaire. Marginalisée au nom de l’urgence du régime instauré après les attentats de novembre 2015 à Paris, elle le restera.
C’est un choix dangereux. Le gouvernement prend, en effet, le contre-pied des principes de protection des libertés bâtis et consolidés après la seconde guerre mondiale. Et c’est un choix moins habile qu’il n’y paraît. La transposition dans le droit commun de mesures techniques dont l’opinion publique ne se préoccupe guère ne rendra pas celle-ci plus indulgente envers le pouvoir si un attentat survenait après le 1er novembre.
Enfin, cette stratégie porte en germe le risque de nouvelles surenchères législatives : le jour où, confronté à une nouvelle vague d’attentats, un gouvernement voudrait rassurer l’opinion en annonçant de nouvelles mesures spectaculaires, quels nouveaux pouvoirs exceptionnels imaginera-t-il au nom d’un nouvel état d’urgence ?