Une Reine de Chypre en mal de ténor
Une Reine de Chypre en mal de ténor
Par Marie-Aude Roux
L’opéra de Halévy a ouvert, au Théâtre des Champs-Elysées, le cinquième festival parisien du Palazzetto Bru-Zane, avec une distribution bancale.
Ce jeudi 7 juin, le Palazzetto Bru Zane, centre de musique romantique française sis à Venise, inaugurait son cinquième festival parisien avec la rarissime Reine de Chypre de Halévy, un opéra de 1841, dont n’avait jusqu’alors été enregistré que le seul duo masculin « Triste, exilé sur la terre étrangère » en 78 tours. Le Théâtre des Champs-Elysées s’attendait donc à découvrir, sinon un chef-d’œuvre comparable à La Juive (qui a retrouvé ces dernières années le chemin des scènes lyriques), du moins un ouvrage solide, témoin de ce grand opéra à la française qui baigna les oreilles d’un public féru de fresques historiques spectaculaires.
La version de concert présentée ne permettant pas de donner un sous-texte à la musique, il faut donc croire sur paroles les commentateurs de l’époque et musicologues d’aujourd’hui qui prêtent au compositeur et à son librettiste, Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, des relents d’idéologie napoléonienne - exaltation de héroïsme français, résistance nationale face à la tyrannie, exercée ici au XVème siècle par la puissante Cité des doges au XVème siècle.
Qu’on en juge. La vénitienne Catarina Cornaro, jeune patricienne promise au chevalier français, Gérard de Coucy, contrainte de sacrifier son amour à la raison d’Etat imposée par les doges, devra épouser le futur roi de Chypre, Lusigan. Ce n’est qu’à la fin du cinquième acte que celle qui est devenue la reine de Chypre, veuve et mère d’un héritier prétendant au trône, trouvera la force de s’opposer à l’hégémonie vénitienne, offrant la liberté et le libre-arbitre à son peuple ainsi que l’assurance de sa foi à l’ex-amant réapparu sous les traits d’un chevalier de Malte.
Dans la salle, on souffre aussi
Douleur, trahison, rivalité amoureuse, mais aussi exercice de la terreur politique, émaillent une partition qui contient certes quelques vraies beautés mais s’adonne la plupart du temps aux plates conventions stylistiques du genre. Dans la salle, on souffre aussi. La faute à un Coucy, plutôt couça. La production a en effet joué de malchance : initialement prévu dans le rôle du super ténor, écrit pour le valeureux Duprez et son désormais célèbre « ut de poitrine », Marc Laho a déclaré forfait quelques jours plus tôt, remplacé par Cyrille Dubois, lequel est tombé malade lui aussi. Appelé à la rescousse, Sébastien Droy a donc accepté de sauver la mise et d’apprendre la partition le matin même de la représentation. Mais peu de choses se font en un jour, comme on sait. Réduit à un très maigre brouet (les aigus systématiquement amenuisés en voix de tête alors que ledit Duprez, dit-on, les projetait larges et sonores), la voix du chanteur « pianissime » à outrance, marque pour le meilleur, s’emmêle les pinceaux pour le pire.
Agacé et déçu, le public, qui compatit extérieurement, s’indigne intérieurement devant le triste spectacle du chanteur au nez baissé dans sa partition, risquant quelques sourires de façade alors qu’il est censé faire le ménage et trucider son rival. Ses homologues sont visiblement déstabilisés. Ainsi la Catarina noble et passionnée de Véronique Gens, privée de partenaire dans les duos d’amour ; le Lusigan d’Etienne Dupuis offrant au roi de Chypre la vaillance et l’élégance d’un preux superbe et généreux. Impossible pour Eric Huchet de rater le méchant de service qu’est l’affreux Mocenigo, exécuteur des basses œuvres de la Sérénissime, tandis que Christophoros Stamboglis prête à l’intrigant Andrea, oncle de Catarina et parjure, son large timbre de basse, au prix d’une intonation parfois approximative.
Magnifique comme à l’accoutumée, le Choeur de la radio flamande a impressionné par sa probité, une diction impeccable, des pupitres homogènes, capables de nuancer à l’infini, du murmure à la vocifération. La direction efficace mais un peu bourrine (et peu harmonieuse visuellement) d’Hervé Niquet n’a pas convaincu l’Orchestre de chambre de Paris de descendre en dessous du mezzo-forte. Sans doute fallait-il compenser le ténor passé aux oubliettes ? On nous promet un disque : espérons que la Reine de Chypre pourra cette fois compter sur tous ses sujets.
La Reine de Chypre (Halévy) au Théâtre des Champs-Élysées - mercredi 7 juin
5e Festival Palazetto Bru Zane à Paris : La Reine de Chypre, de Fromental Halévy. Avec Véronique Gens, Sébastien Droy, Etienne Dupuy, Christophoros Stamboglis, Eric Huchet, Chœur de la Radio flamande, Orchestre de Chambre de Paris, Hervé Niquet (direction). Théâtre des Champs-Elysées, Paris-8e. Prochain événement : Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne, du 8 au 11 juin. Récital Véronique Gens le 16 juin. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris-10e. Tél. : 01-46-07-34-50. De 10 € à 32 €. Bouffesdunord.com et Bru-zane.com