Le Brésil suspendu au jugement de son président
Le Brésil suspendu au jugement de son président
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Les sept juges, réunis depuis mardi à Brasilia, doivent statuer sur la validité de l’élection présidentielle de 2014, entachée par des accusations de financement illégal de campagne.
Marcus Vinicius Furtado Coelho, l’avocat du président brésilien Michel Tremer. | UESLEI MARCELINO / REUTERS
Les invectives sont précédées de « votre excellence ». Mais le ton est sec, le propos cassant. Au troisième jour des débats, la nervosité s’installe au Tribunal supérieur électoral (TSE) de Brasilia devenu le théâtre d’un affrontement entre deux des sept juges. Gilmar Mendes, le président du TSE, semble plaider la mansuétude envers le chef d’Etat brésilien, Michel Temer, afin d’éviter une crise de succession au sein d’un pays meurtri. Son adversaire, Herman Benjamin, rapporteur de ce dossier explosif, est partisan d’une ligne dure au nom de l’éthique.
Saisie d’une plainte déposée au lendemain du scrutin présidentiel de 2014, la justice électorale évalue, depuis mardi 6 juin, la régularité des comptes de la campagne menée conjointement par la présidente déchue en 2016, Dilma Rousseff, du parti des travailleurs (PT, gauche) et celui qui était alors son vice-président Michel Temer du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre).
Caisse noire
Au terme de sessions qui devraient se prolonger jusqu’au samedi 10 juin, les juges devront, par leur vote, confirmer ou infirmer les soupçons d’utilisation d’une caisse noire ou d’argent sale issu de la corruption.
Leur décision pourrait conduire à casser le mandat de Michel Temer. Un homme à l’impopularité record, fragilisé depuis mi-mai par la divulgation de l’enregistrement d’une conversation qu’il a tenue en mars avec un magnat du marché de la viande, Joesley Batista corrupteur notoire des caciques de Brasilia. S’ajoute à cela l’aveu du chef d’Etat qui, mercredi 7 juin, a reconnu, après avoir nié, avoir utilisé l’avion privé du même Joesley Batista en 2011.
Des révélations de plus au sein d’un paysage politique dévasté par les interminables rebondissements de l’opération judiciaire « Lava-Jato » (Lavage-express), qui a mis au jour le plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays.
Un climat délétère susceptible d’influencer les juges redoute l’avocat de Michel Temer, Gustavo Guedes. « Il n’est pas possible que le président Michel Temer paye la facture de l’histoire de la corruption du Brésil », a-t-il plaidé au premier jour des débats.
Feuilleton politique
Le rôle du TSE s’étend, de facto, bien au-delà d’un simple arbitre des comptes de la campagne. Après la destitution de la présidente de gauche, Dilma Rousseff, suite à une procédure d’« impeachment » (mise en accusation), en 2016, sa décision menace de faire replonger le pays dans le chaos politique. « Retour vers le futur », titre une tribune de Roberto Dias, éditorialiste au quotidien Folha de Sao Paulo, jeudi 8 juin évoquant un pays en « dépression morale » fatigué de ce « feuilleton politique ».
C’est ce contexte électrique qui a fait naître une joute entre les magistrats Gilmar Mendes et Herman Benjamin, incarnation d’un Brésil déchiré entre son souhait de stabilité et son désir de moralité. « Nous ne pouvons oublier, qu’ici, nous vivons une situation assez singulière, qui fait que [nous jugeons] la remise en question d’une victoire présidentielle portant un degré de stabilité et d’instabilité qui doit être pris en considération », a rappelé Gilmar Mendes.
Et d’ajouter, plus explicitement, jeudi, « il y a des exagérations. Parfois on casse un mandat pour des petites choses ».
Intégrer ou non les « Lava-jato »
Le duel s’est fait intense lors des débats visant à statuer, ou non, sur l’inclusion des dépositions explosives de cadres du groupe de Bâtiment et travaux publics (BTP), Odebrecht, protagoniste du scandale « Lava-jato ». Faut-il, ou non, verser au dossier ces aveux accablants faisant état de financement illicite de campagnes et de partis politiques ? Oui affirme M. Benjamin évoquant une « information publique et notoire ». « Seuls les Indiens isolés en Amazonie ne savent pas qu’Odebrecht a fait des aveux », s’agace-t-il. Un argument « fallacieux », selon M. Mendes qui obligerait le TSE intégrer également des éléments plus récents, voire les dernières informations des chaînes en continu.
A écouter le président du TSE, également juge auprès de la Cour suprême, Herman Benjamin, homme réputé vaniteux, savourerait avec ce procès son instant de célébrité. « Votre excellence, aujourd’hui, brille à la télévision », a ironisé M. Mendes, appelant son confrère à la « modestie ». « Je préférerais l’anonymat », s’est défendu M. Benjamin.
Un second « coup d’Etat ? »
Au-delà de ces débats de procédure, M. Benjamin a mis M. Mendes face à ses contradictions, rappelant que le ton du magistrat était bien plus agressif lorsque Dilma Rousseff était encore aux commandes du pays. De quoi insinuer que le procès du TSE, enclenché en 2014 sur une demande d’Aecio Neves, candidat malheureux de l’élection pour le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre gauche aujourd’hui classé à droite), n’avait qu’ un seul objectif : faire tomber la dauphine de Lula. Voire « casser les c… du Parti des travailleurs » comme le dit lui-même Aecio Neves dans une écoute révélée au public en mai.
« Les masques tombent », commente Laurent Vidal, historien du Brésil, professeur invité à l’université fédérale de Rio de Janeiro.
Avec le TSE, le Brésil rouvre une ancienne plaie, celle de l’impeachment de Dilma Rousseff. Une procédure polémique réalisée dans le cadre constitutionnel mais considérée par une partie des Brésiliens comme « un coup d’Etat ».
Sauf coup de théâtre, le vote du TSE devrait intervenir samedi.