Dans le désert cinématographique de l’Afghanistan, Salim Shaheen (à gauche) détonne avec 110 films à son actif. | Pyramide Films

Salim Shaheen, le personnage principal du documentaire « Nothingwood », est à la fois un prince de la série Z, un grand cinéaste afghan, dans un pays où la production cinématographique est plus que minime, et le réalisateur le plus prolifique au monde. Ce Ed Wood afghan a 110 films à son compteur. Dans les périodes fastes, il en tourne une dizaine par an. Les Américains ont Hollywood, les Indiens, Bollywood, et les Nigérians, Nollywood. Salim Shaheen est le roi de cette minuscule industrie qu’il a baptisée « Nothingwood ». La Française Sonia Kronlund, productrice de l’émission « Les pieds sur terre » sur France Culture, saisit dans son film la personnalité de celui dont les « superproductions » coûtent 10 000 euros : le caméraman et monteur reçoit 100 dollars par mois, et certains acteurs paient pour y figurer, afin d’inscrire sur leur CV qu’ils ont été les héros d’un film.

« Salim Shaheen se pose en homme d’honneur, qui n’a peur de rien. En matière de sécurité, c’est ingérable : il y a des risques d’attentats et de kidnappings d’étrangers…  » Sonia Kronlund

La documentariste s’est rendue pour la première fois en Afghanistan en 2000 pour l’émission de France Culture « Surpris par la nuit ». « C’était à l’époque des talibans, avec un visa de l’État islamique d’Afghanistan, se souvient-elle. C’était avant que les bouddhas n’explosent. Il était interdit de filmer des êtres vivants. Du coup, à la télévision on ne pouvait voir que des rivières ou des montagnes. Pourtant, régulièrement, des talibans m’arrêtaient pour me demander de les prendre en photo. »

Quelques années plus tard, Sonia Kronlund découvre l’existence de Salim Shaheen grâce au romancier franco-afghan Atiq Rahimi, qui lui offre des DVD de plusieurs de ses films. La signature du réalisateur est reconnaissable entre mille : un mélange de scènes d’action, de blagues, de chansons et de chorégraphies, une mise en scène qui relève du bricolage, une croyance réelle dans le pouvoir du cinéma d’offrir une alternative au chaos régnant au moins depuis l’invasion soviétique de l’Afghanistan, en 1979.

« J’ai effectué des repérages en février 2013 et j’ai tourné durant l’été puis l’hiver 2015, explique la réalisatrice. Salim Shaheen se pose en homme d’honneur, qui n’a peur de rien. En matière de sécurité, c’est ingérable : il y a des risques d’attentats et de kidnappings d’étrangers, qui sont très nombreux. »

NOTHINGWOOD, Bande annonce, sortie le 14-06-17

L’aventure cinématographique entre Salim Shaheen et Sonia Kronlund ne s’est pas interrompue à la fin du tournage. En mai dernier, à Cannes, Nothingwood était présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Salim Shaheen a affiché une aisance innée, conscient de représenter un cinéma jusqu’ici absent du plus grand festival du monde. « Il s’est comporté comme si cela était naturel », ajoute Sonia Kronlund. Surtout, il a été entouré de ceux dont la cinéphilie n’était pas éloignée de la sienne. « Il a pu faire des interviews avec des Iraniens et des Indiens, car sa culture est proche de celle de ces deux pays. Il a grandi avec leurs films. »

« Nothingwood », documentaire de Sonia Kronlund. 1 h 25. En salle le 14 juin.